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Traduction Sylvie Doizelet

octobre 2021 | Le Matricule des Anges n°227

Où sont-ils maintenant, de Laura Kasischke

Où sont-ils maintenant

Anthologie personnelle
Editions Gallimard

Une poésie inspirée par David Lynch ?
C’est Laura Kasischke elle-même qui le dit. En France, ce sont ses romans, Les Revenants, En un monde parfait, Esprit d’hiver (trois parmi dix) qui souvent sont associés à l’auteur de Blue Velvet. Imagine-t-on traduire l’univers de David Lynch ?

Où sont-ils maintenant
Le point d’interrogation manquant plane au-dessus de ces pages. C’est une sorte de point d’interrogation fantôme, qui produit un effet permanent d’incertitude. Son absence dans le titre est d’autant plus troublante que les questions sont légion dans 187 poèmes. Ont-ils sursauté lorsque le téléphone sur la table de nuit a sonné ? Où était Bach avant qu’il atteigne mes oreilles ? Quel était ce son, l’océan se noyant dans ses propres vagues ?

L’absence ?
L’absence ? Une chemise vide qui danse, électrocutée sur une corde à linge. Des chaussures, vides aussi. Ou plus exactement, vidées. Emptied. De cette infime différence, marquer l’infini de ce qui a été perdu. Ce qui a été là, et maintenant n’y est plus.

Mais l’absence n’est pas la mort,
plutôt le déplacement. Dans ces pages, on se déplace sans cesse. Si vite qu’il n’est pas possible de voir, seulement de percevoir le déplacement d’air, qui a modifié l’atmosphère, l’acoustique du lieu.

La bande son.
Du « crépitement parasite du passé » aux cris perçants des cochons entassés dans un camion qui passe devant la maison. Sans oublier « la musique de la poussière dans l’eau » ou « le bruit d’un atelier de misère quelque part », et toutes les nuances du silence, « - silence du rat en caoutchouc d’un enfant. »

Drôles de parents ?
« Elle le suivait partout dans la maison, et chaque fois qu’il allumait une lumière, elle l’éteignait. »
« Ils faisaient juste une promenade en voiture. Papa a éteint la radio, et Maman l’a rallumée. »

Un sandwich au cygne ?
Un chauffeur de camion, attendant que le trafic reprenne lors d’un accident sans gravité, mange un sandwich au cygne. Vérification auprès de l’auteur. Un sandwich au cygne, ça n’existe pas, il ne faudrait pas que les Français pensent les Américains capables de manger ça. Mais c’est un sandwich au cygne malgré tout, puisque dans le poème il est question d’ailes, puisque le cygne est l’un des totems de ces pages.

C’est une femme la nuit au volant sur l’autoroute.
Il faut régler la radio sur certaines stations, chercher la fréquence des voix des morts. Parfois c’est le jour, et sur le siège arrière il y a l’enfant ; un coup d’œil dans le rétroviseur, juste le temps de le voir faire le même geste que la mère disparue. « En ce geste, le miracle. La double hélice. L’eau qui remonte le courant. » La route appelle le souvenir, un accident observé de la voiture sans s’arrêter ; et d’avoir passé son chemin fera qu’on sera hanté à jamais. N’avoir pas eu le courage de rester près de la mère dans sa chambre pour ses derniers instants fera qu’elle sera « là » pour toujours.

« Là », mais où ?
Where Now, le titre original, est la traduction anglaise de Ubi nunc – « où maintenant » – et pourtant c’est dans l’Ubi sunt – « où sont » – que Laura Kasischke nous plonge d’emblée, où sont, où sont passés, passées, inscrivant ces poèmes dans la tradition médiévale, marquée en France par Villon, Apollinaire, et en Angleterre par « le Livre d’Exeter », dont elle reprend la complainte du Vagabond, onze vers pour rythmer les onze parties du recueil.

Où est celui qui fut ?
devenu chez Apollinaire « Où est celui que je fus ? » À cette question, Laura Kasischke ajoute : « Où est la femme que je serai ? » Elle est présente déjà, fait signe depuis un train qui passe, vieille femme qui, des années, des décennies avant d’exister, se laisse entrevoir.
Déplacements subtils, de lieu et de temps chez une même personne mais aussi, d’une personne à l’autre. « Un mur fond, entre ma mémoire et elle. » Une inconnue, en voiture, fait « une course gratuite dans la mémoire d’une autre. »

Mais aussi d’animal à humain.
« Je commence à rêver leurs rêves », et les rêveurs, ce sont des cochons, entassés dans un carton dans la cuisine de la voisine. « Avant le printemps, les cochons de ma voisine meurent l’un après l’autre, et j’entrevois mon propre visage », et plus loin encore dans le processus de la création, « les méduses, comme des pensées, se transmettaient secrètement d’une personne à l’autre. »

Nulle angoisse dans ces métamorphoses,
puisqu’il ne s’agit que d’un décalage, un déplacement temporel, une simple vision du passé ou du futur, et dans les pages de Laura Kasischke il semble normal que tout le monde s’apostrophe, s’interpelle, d’un temps à l’autre, d’un univers à l’autre, sa mère morte s’agenouille devant une malle, les phares incandescents sondent le ciel à la recherche de signes de vie… Et toujours ce glissement, – une bague de diamants dont la pierre se retrouve « dans la lune de miel de quelqu’un d’autre ». Rien ne reste en place, à sa place, l’œil, l’oreille, sans cesse sont sollicités pour essayer de suivre ces mouvements continuels, et parfois le regard se perd,

un oiseau entre dans un nuage et n’en ressort jamais

*
Écrivaine et traductrice (Ted Hughes, Karen Joy Fowler, Mark Richard). Où sont-ils maintenant (Gallimard) paraît en octobre.

Sylvie Doizelet
Le Matricule des Anges n°227 , octobre 2021.
LMDA papier n°227
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