Un homme imprègne de sa présence le lieu où il vit des décennies durant et puis, un jour, il meurt. Cet homme, c’est Denis Roche, photographe, écrivain, éditeur, emporté par la maladie à 77 ans début septembre 2015, et l’endroit c’est la Fabrique, à Paris, bâtiment de briques rouges où Karine Miermont possède elle aussi un appartement. « Je voudrais ne rien oublier des signes de Denis, des traces, signes et traces que je connus », écrit-elle à propos de ce voisin de palier qui lui a fait passer, au fil des années, bien des seuils importants dans la recherche de sa propre écriture. « Denis a changé ma vie, oui, je me demande bien comment serait ma vie si je n’avais pas croisé mon voisin. » La disparition de l’artiste appelle chez elle une remémoration à ce point pudique qu’elle n’en a que plus de force. Son ambition n’est pas d’essayer de mettre au jour la vérité d’un homme complexe, aucunement ; plus modeste est son intention : s’en approcher seulement, à travers les souvenirs qu’elle a de leurs échanges ou la lecture de ses livres nombreux, à travers, aussi, ce travail de création photographique qui l’occupa toute sa vie. Des mots, des photos qu’elle tente d’emboîter pièces à pièces, comme la recomposition d’un puzzle sans en connaître la vue d’ensemble. Karine Miermont, dont on avait déjà beaucoup apprécié L’Année du chat et Grace l’intrépide, écrit avec une retenue, une pudeur, une économie de sentiments qui rendent ce livre souvent touchant.
En parler comme d’un hommage serait peut-être mal dire, tant le terme a quelque chose de pompeux et une solennité qui ne correspondent pas à la tonalité de ces belles pages. C’est plutôt un témoignage que ce livre, un in memoriam façon patchwork, dont les coutures sont volontairement laissées apparentes. Comme si Karine Miermont ne voulait pas, pour évoquer la mémoire de Denis Roche, en passer par une forme conventionnelle, se glisser dans un cadre convenu. Comme si elle avait écrit ce livre en sentant sur lui le regard, par-dessus son épaule, de Denis Roche.
Car le livre donne à voir la recherche même de sa forme. « Des silences et des énigmes. Chasse, défrichage, décryptage. Relevé d’indices, de traces, de signes. Le Marabout est aussi une sorte d’enquête, à partir d’un endroit et au gré de certaines phrases, de certains rêves, certaines images. Je cherche mon voisin, je cherche Denis Roche ». De l’enquête à la quête il n’y a, homophonie aidant, qu’un pas. L’auteure est, dirait-on, en quête de quelque chose dont Denis Roche n’est peut-être que le nom (propre) de code : une écriture où l’imaginaire, l’autobiographie et l’évocation mêlés retiennent un peu dans leurs filets des fragments du Temps. En référence à Denis Roche qui disait : « Exister, c’est développer une forme », on pourrait dire, pour conclure, que Karine Miermont, avec ce livre, a développé une forme singulière et qu’à ce titre, il existe. Bel et bien.
Anthony Dufraisse
Marabout de Roche
Karine Miermont
L’Atelier contemporain, 171 pages, 20 €
Domaine français À la recherche de Denis Roche
novembre 2021 | Le Matricule des Anges n°228
| par
Anthony Dufraisse
Une évocation très personnelle de l’artiste, façon patchwork, par sa voisine de palier, Karine Miermont.
Un livre
À la recherche de Denis Roche
Par
Anthony Dufraisse
Le Matricule des Anges n°228
, novembre 2021.