Plutôt qu’une fable, à laquelle peut faire penser le titre animalier, Le Chat, le Général et la Corneille est une épopée aux acteurs hauts en couleur et en noirceur. Le premier est le surnom de Sesili, actrice en devenir qui a fui la Géorgie pour l’Allemagne et paraît être un alter ego de l’auteure. Le deuxième, Alexander Orlov, est un oligarque russe dont la fille s’est suicidée devant la monstruosité du monde, d’où sa froideur vengeresse. Onno Brenner, journaliste parmi les conflits les plus meurtriers, tient de son oiseau-totem la capacité d’annoncer le malheur.
Ces personnages alternés dessinent une fresque de la Russie à la suite de la chute du communisme, alors que la guerre de Tchétchénie est le pivot de l’horreur. Nuit fatale, viol et assassinat de la jeune Nura, culpabilité de Malish qui pense n’avoir pas su la protéger, théâtre, tout cela s’avance inexorablement, s’imbrique, pour enchaîner le lecteur dans une vertigineuse tragédie. Et l’on se doute qu’Onno Brenner aura fort à faire pour démêler vingt ans plus tard les responsabilités du Général. L’indépendance des femmes est tour à tour brisée, développée, selon les points de vue et les destinées ; l’étrange ressemblance de Nura et du Chat permettant à l’actrice de se voir proposer par Orlov un rôle traumatique : « Dans cette galaxie noire, poussiéreuse, sans fenêtre, elle voulait fouiller, explorer tous les abîmes, et, tel un phénix, renaître de ses cendres, plus vide que jamais ».
Hors le peu de concision et la tension trop mélodramatique (surtout à la fin), Nino Haratischwili est en son roman déjà historique une conteuse éprouvée, maniant avec sûreté un réalisme cru, un étonnant lyrisme, une acuité psychologique prenante.
Thierry Guinhut
Le Chat, le général et la corneille
de Nino Haratischwili
Traduit de l’allemand par Rose Labourie
Belfond, 592 pages, 24 €
Domaine étranger Le Chat, le Général et la Corneille
novembre 2021 | Le Matricule des Anges n°228
| par
Thierry Guinhut
Un livre
Par
Thierry Guinhut
Le Matricule des Anges n°228
, novembre 2021.