Traitée comme une thématique en littérature et au cinéma, l’adoles- cence est souvent épiée d’en haut ou de travers. On pouvait le regretter jusqu’à découvrir un texte impressionnant, écrit de plain-pied dans cette période charnière, fougueuse et bouleversante. L’année qui précède les 18 ans de Mathilde n’est pas qu’une histoire de regards « coulants », de premières fois, de déceptions et de baccalauréat. Fille de parents séparés et d’une mère qui brille par son absence en cures de désintoxication, la narratrice a le don pour ne pas supporter les entraves et les non-dits. Intensément lucide, précoce de la maturité sans aucun doute, déter- minée plus qu’elle ne l’imagine, elle se cherche à toute allure. Rien n’échappe à Lucile Génin, née en 1996, qui scanne tout du passage à la vie adulte avec une fraîcheur mêlée à un humour savoureux.
« Il faut plusieurs lieux en soi pour garder quelque chance d’être soi », écrivait J-B Pontalis. Pour sortir de l’adolescence, il faut sans doute pouvoir aussi quitter certains lieux avant d’en appréhender de nouveaux. Mathilde l’a d’autant mieux compris que l’appartement où elle vit chez sa mère est devenu invivable. C’est elle qui nettoie le vomi de ses comas éthyliques : « J’avais passé tant d’années à veiller ma mère avec une angoisse perpétuelle en arrière-plan de tout le reste que l’absence même de cette alerte constante ne parvenait pas à m’apaiser ». Anne tangue semble-t-il depuis un peu plus longtemps que son divorce, mais elle-même ne semble pas en possession de son histoire. Démarre pour Mathilde une véritable quête de soi symbolique et géographique. Ayant dé- couvert dans un carnet secret que sa grand-mère qu’elle croyait morte était encore en vie au Canada, elle part à la conquête des espaces vertigineux, où est née sa mère.
De nouveaux endroits est aussi le récit d’une reconquête de son corps. Une agression sexuelle sur une plage bretonne poursuit la narratrice qui réussira à ne pas laisser le silence triompher et hanter ses désirs en mettant une fois de plus des mots sur le traumatisme.
Lucile Génin raconte avec fulgurance, sans jamais s’attarder sur le pathos, évacuant toute lourdeur psychologique. On ne s’alanguit jamais, la tendresse elle-même vire aussitôt à la dérision. Passionnée de course à pied, la narratrice ne laisse aucune place au malentendu et à l’immobilité. Même dans les pires moments lorsqu’elle est confrontée à la mort, elle court sans perdre pied : « je me sentais solide dans mon chagrin immense. Il y avait un pont entre toutes mes réalités. Je ne rebondissais plus dans le vide ». Lucile Génin pose un véritable regard sur l’adolescence, lorsqu’elle absorbe tout. Après lecture, on ne doute pas qu’une nouvelle écrivaine est née en bien de nouveaux endroits.
Flora Moricet
De nouveaux endroits
Lucile Génin
Éditions du sous-sol, 288 pages, 19 €
Domaine français Intense adolescence
janvier 2022 | Le Matricule des Anges n°229
| par
Flora Moricet
Un premier roman de Lucile Génin plein de vitalité et d’humour grinçant sur un moment de vie exacerbé.
Un livre
Intense adolescence
Par
Flora Moricet
Le Matricule des Anges n°229
, janvier 2022.