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Poésie Piaffant dans un dortoir d’insomnie

janvier 2022 | Le Matricule des Anges n°229 | par Emmanuel Laugier

Ils s’y sont mis à trois pour que du métier de pointe de Dominique Fourcade vienne Vous m’avez fait chercher, livre d’hybridation et de couleurs entre textes et images où tout arrive…

Vous m’avez fait chercher

Du premier livre de Dominique Fourcade publié aux éditions P.O.L, Le Ciel pas d’angle (1983) au dernier paru en 2020, Magdaléniennement, aucun ne comprend d’images. Beaucoup d’œuvres, de toutes sortes, picturales, sculpturales, musicales et littéraires, y sont néanmoins citées et appelées. Mieux, elles sont comme ingérées dans la phrase, qui mot à mot, se forme, puis échelonne sa page, jusqu’au livre lui-même, donnant corps à la plasticité (non reproduite) d’une série de gestes que le poète importe dans son écriture comme des bouts de roches fluorescentes. Cette opération, multiple, sans cesse réinventée dans le corpus de ses livres, que l’on pense à Son blanc du un ou au Sujet monotype et à Degas, est générale et non exclusive. Plutôt est-elle inclusive, et ainsi fait-elle sauter les systèmes d’enclosures tels qu’ils viennent ségréguer les genres. En cela Dominique Fourcade, et depuis toujours, est un poète transgenre. Il bouscule avec une douceur infinie, autant que par effraction frontale et parfois raccords troubles (jusqu’à salir sa phrase sciemment et risquer l’accroc) l’ordre des lexiques pour inventer une syntaxe aux vitesses sidérantes.
Avec Vous m’avez fait chercher (qu’aucun point d’interrogation ne ponctue), la volonté d’écrire les images tout en les relayant de page en page, les enchaînant les unes aux autres pour les faire étoiler en une autobiographie créatrice, apparaît comme une synthèse tranchante de tout le travail que Dominique Fourcade mène depuis presque quarante ans. Le poète Jean-Claude Pinson a montré combien les régimes tonals de ses livres (« son contrebassé blanc ») tournait le dos à l’ordonnancement très hiérarchisé de l’ordre chrétien du monde ; et combien ce premier geste, de désaffiliation, avait-il forcé l’écriture à repeupler autrement sa basse orpheline. Les éléments qui la composent sont hétérogènes, mais leur moteur commun est « le parti pris “surfaciste” consistant à dissoudre le sujet pour faire venir au premier plan le médium lui-même ». Vous m’avez fait chercher respecte littéralement cet axiomatique : « Ce livre est une question de regard, regard du lecteur mais aussi et surtout celui que les images portent les unes sur les autres, et cette mise en regard donne lieu à des arcs électriques. Nous avions tout au long l’impression d’orchestrations foudre et de désorchestrations incessantes, les deux en même temps, et les deux vous échappent ». Aussi la simultanéité surfaciste (de la page qui est un ciel) et celle des tempi, dont la logique est expérimentale autant que sensationnelle, crée-t-elle des raccords de montages inédits. En quoi consiste l’échelonnage des images et des textes : tableaux et sculptures, de Lascaux à David Smith en passant par Titien, Manet, Degas…, coupures de presse (la finale Allemagne-Hongrie de la Coupe du monde de football 1954), Bashung en pochette de disque, programme de la semaine des concerts de Stockhausen, fragment de céramique (« L’homme à l’étui pénien »), couvertures de livres nommés « Quatre inimaginables » dont celles de L’Espèce humaine de Robert Antelme, Si c’est un homme de Primo Levi et de livres distincts de Charlotte Delbo et d’Imre Kertész.
Ce grand foisonnement d’images mêle autant la culture populaire que celle des musées (pour le dire vite). C’est un véritable feu d’artifice saisissant par lequel tout esprit de hiérarchisation explose. Mais cette explosion de couleurs ne pourrait être telle s’il n’y avait, non pas à côté, mais agencé dans un carambolage jouissif, un ensemble des textes choisis. Ils apparaissent comme des échos dynamiques à la présence des images, des approfondissements surfaciels de gestes encore autres : il s’agit des textes écrits par Fourcade, inédits, parfois tirés de ses livres, qui sont ici comme des blocs de réponses à toutes les images du volume. Mais aussi des deux index des co-auteur.e.s et d’extraits de textes donnés à lire (Oppen, Dickinson, La Fontaine, Racine, Proust, Portugal, Pasternak, Dante…), de lettres, billets, cartes postales ; etc.
Cette opération de croisement, tout lecteur peut s’y impliquer, elle lui fera traverser le siècle-Fourcade, de sa licence de jeune footballeur au Racing Club de France (1948) à la guerre d’Algérie, en passant par toutes ses passions, la rencontre de Char, celle de l’œuvre de Matisse, dont la Une de sa mort sur le Paris Match du 13-20 novembre 1954 est reproduite et annonce en même temps un reportage sur « Nos envoyés spéciaux dans le maquis de l’Aurès ». Car Fourcade d’emblée entend que le poème soit l’expérience d’une passion du réel, ce lieu sans lieu où tout arrive : cette « part émergée du réel », Vous m’avez fait chercher la porte jusqu’à son acmé, les images étant autant enfouies et comme fondues dans les textes jusqu’à ce qu’eux-mêmes en fabriquent les échos non-visibles ; et si nues, et si réversibles, qu’ils se distinguent féroces et doux sur la page, à l’exemple de cet extrait, clin d’œil à la dernière image du livre : « dans un long canoë silencieux/j’ai mis les deux syllabes du nom de Kafka pour servir d’appelant aux mésanges/et aussi tout ce que je savais de l’absence de destin qui est le propre du temps que j’avais à vivre ».

Emmanuel Laugier

Vous m’avez fait chercher
Dominique Fourcade, Hadrien France-Lanord et Sophie Pailloux-Riggi
P.O.L, 272 pages, 34,90

Piaffant dans un dortoir d’insomnie Par Emmanuel Laugier
Le Matricule des Anges n°229 , janvier 2022.
LMDA papier n°229
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