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Poésie Ce qui meurt et ce qui demeure

janvier 2022 | Le Matricule des Anges n°229 | par Richard Blin

En quête d’une parole non altérée par la rationalité occidentale, la poésie de Monchoachi rend sensible le « sans voix » et réveille des langues sauvages.

Fugue vs Fug - (Lémistè 3)

Passionnante entreprise que celle de Monchoachi, pseudonyme d’André Pierre-Louis, un poète martiniquais, né en 1946. Elle consiste à explorer différents univers langagiers et culturels à travers le prisme de la langue créole et celui des mythes, rites et mystères aujourd’hui recouverts par ce qu’on nomme la Civilisation. Une ambition épique tenant de la geste et d’une sorte de grand poème fondateur titré Lémisté (Les Mystères, en créole) et qui (après Lémisté – 1. Liber America, qui visite le monde amérindien, et Lémisté – 2. Partition noire et bleue qui nous plonge dans l’Afrique primordiale) s’enrichit aujourd’hui d’un nouvel opus : Lémisté – 3. Fugue vs Fug.
Elle nous conduit en Europe, dans la Grèce antique au moment où l’Occident va connaître un événement capital avec l’arrivée des voyelles au sein d’une écriture alphabétique « sans voix » puisque ne comptant que des lettres consonnes. Les voyelles, ces « Saintes Filles », « gonflées de juteuse pulpe », ces « Charmeuses », ces « Opulentes » s’immiscent, ouvrent le mot à la voix, insufflent une vie dans une écriture qui n’était que « tombeau maçonné, veines closes ». En permettant de prononcer les mots les voyelles engendrent la parole, une parole n’ayant plus besoin du répondant qu’exige l’oralité. Rien ne résiste à leur puissance d’effraction et de séduction et elles vont être à l’origine d’un dévoiement, d’une fugue qui va faire de l’écriture le langage qui ordonne, qui donnera figure à la Cité, qui permettra l’essor des sciences et des techniques et bouleversera tous les modes antérieurs d’habiter la Terre.
Ce sont toutes les conséquences de cette fugue que met en voix Monchoachi. Au fil de sept grandes sections – Aria  ; La Gaya ; L’innocence ; L’oubli ; Le déjouement ; La déjoiance / La Sufficience ; La devotio –, il donne à voir et à entendre ce qui échappe au regard, l’envers des mots dans ce qu’ils disent d’une relation au monde, aux dieux, à la muse gardienne de la mémoire. Pliant la langue au feu de l’impression vive, la déhanchant, l’ébranlant, il rend sensibles des présences invisibles, prégnantes les forces liées à la nuit et à l’origine. C’est le tréfonds, la strate archaïque, qu’il vise, même quand il s’agit de narrer l’avancée victorieuse de la langue écrite – « la Radieuse, la Rayonnante / balancée sur ses balancements » – partie à la conquête du monde.
Une avancée que le poème mime sous l’ivresse des sons tout en donnant voix aux premières manifestations de la nostalgie. Car est en train de se perdre « la terre noire qui porte vivants et morts, / porte le jeu, s’ouvre, déploie sa mélodie, / les mots de quelque lointain mêlés, / Et les choses à présent si proches ». Le livre alors devient un cri de révolte contre une langue et une civilisation qui désincarnent le monde, apportent l’uniformité, assujettissent la pensée à son modèle d’articulation, désenchantent les mythes, vouent à l’oubli les géographies imaginaires, les dieux et leur « proximité merveilleuse ». Contre la vision parcellaire et mutilante qui nous exile au sein même de ce qui nous environne, et contre un « Pacte du progrès » scellé par la soumission du corps à l’esprit et de la pensée à la raison, Monchoachi oppose son contre-chant, fait jouer toutes les valeurs d’une anti-parole, celle qui vient du fond des âges, celle qui sourd dans le corps, résonne avec lui, donne souffle aux mots « bégayés-perdus » du langage d’origine. Celle qui, jouant avec l’invisible, cherche à ressusciter l’éblouissement perdu, conspire avec la beauté violente du monde en son incessant surgissement et en sa splendeur hors tout sens.
Jouant de la prononciation et de la graphie créole, et mêlant toutes les langues, Monchoachi quête l’origine pulsionnelle de la langue dans ce qu’elle peut avoir de plus abrupt et de plus nu. D’où la singularité radicale de son écriture, les inflexions inouïes et l’effervescence de son « chantement magique ». « Miroir qui ébranle et espond / douvant derrière / cri blanche ô philé, frappé l’air / senti son corps louvri les lèvres / petites lèvres gloutonnes gloutonnes…  »
Tout ce qu’écrit Monchoachi relève ce plaisir essentiel qui consiste à retrouver quelque chose de plus ancien que les mots, qui donne à entendre ce qui demeure vivace dans l’ombre du présent et la nuit du logos où veillent des langues sauvages et l’Éros « en furerie rosse derrière le rut raide ». Une poésie qui, par-delà la quête d’une consonance entre l’esprit et la nature, réinvente le langage comme arrachement et création, fait de l’obscur la porte de toutes les merveilles.

Richard Blin

Fugue vs Fug (Lémisté 3)
Monchoachi
Obsidiane, 128 pages, 15

Ce qui meurt et ce qui demeure Par Richard Blin
Le Matricule des Anges n°229 , janvier 2022.
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