Un livre

La Matière du chaos

de Kristín Eiríksdóttir

Editions Noir sur Blanc

En Islande, Elín, accessoiriste pour le cinéma, endosse le récit de plusieurs destins de femmes. Son statut de créatrice, toujours les mains dans les matériaux, façonne son rapport au monde et guide ses confidences. L’artiste décompose toute personne en couleurs et textures, auxquelles elle associe des souvenirs. Pour elle, tout découle des détails. Âgée, sans attaches, elle se questionne sur son histoire. Un père qu’elle n’a jamais connu et une mère taiseuse ont sculpté ce qu’elle est aujourd’hui : une béance qui cherche sa ligne directrice. Lorsqu’elle croise Ellen, jeune dramaturge surdouée, lors d’une répétition au théâtre, elle se prend d’intérêt pour cette écorchée vive. Ellen semble à la fois timide et provocatrice : « Bouche, fente à sperme, trou du cul, peu importe », répond la jeune femme à une question d’une décoratrice, pour finalement abandonner sa collaboration avec le metteur en scène sans ménagement. Alternant les points de vue d’Elín et d’Ellen, Kristín Eiríksdóttir élucide les mystères liés aux agissements des deux femmes. Les mêmes événements sont revécus et trouvent leur résolution. Les révélations s’enchaînent, car Elín et Ellen n’ont pas que l’assonance de leurs prénoms comme points communs. Tout le roman traditionnel est là : « suivre un cheminement de pensée jusqu’à s’identifier et comprendre les comportements les plus étranges ». La filiation, les sentiments, la vanité de l’existence, la sexualité, la création, le deuil sont passés à l’examen sans naïveté, même si « parfois je simplifie les choses, au nom de la littérature », avoue Elín.
Teinté de culture islandaise, Matière du chaos fait une incursion discrète dans la fantastique lorsque Ellen imagine des personnages fantômes, comme le « vieux qui semait le chaos » ou « l’enfant spasme ». Au fil des pages, le roman de Kristin Eiríksdóttír forme un kaléidoscope qui répète à l’envi un motif existentiel lancinant : il faut « tomber, plonger, lutter. Comme un être humain ».

Franck Mannoni

La Matière du chaos
Kristin Eiríksdóttir
Traduit de l’islandais par Jean-Christophe Salaun
Notabilia, 256 pages, 18 €