C’est mine de rien qu’elle donne à son verbe la courbe des orages et la couleur des ciels qui frissonnent. Mine de rien qu’elle instille la foudre lente et tendre de ce qu’il faut bien appeler un effet Battal. Car comment qualifier autrement la part agissante de sa poésie, sa puissance érotico-poétique, son ivresse tactile, l’insolence fauve de son penser-sentir ? Un effet dont on peut juger en se plongeant dans la première anthologie personnelle de celle qui, née au Maroc, à Casablanca, en 1987, s’est formée au journalisme et à la photographie avant de se consacrer entièrement à l’écriture et à des performances qui associent poésie, écriture et arts visuels.
Titrée Mine de rien, cette anthologie réunit quelques-uns des poèmes les plus marquants des cinq livres dont elle est déjà l’auteur – Vingt poèmes et des poussières ; Latex ; Transport commun (Lanskine) ; L’Eau du bain (Super Nova) ; Les Quatrains de l’all inclusive (Le Castor Astral) – ainsi que ceux, inédits de Embrasser avec la langue. Mûris dans la chair, voulus avec audace ou nés dans la fleur de l’instant, ces poèmes distillent l’intime radical d’une destinée. « À dix-neuf ans, ma mère a exigé de moi un certificat de virginité (…). Un an plus tard, je me masturbais pour la première fois. » Ni cri d’altérité sauvage ni poétique du choc esthétique, la poésie de Rim Battal se frotte à la question de la permission et des limites. Réfractaire à ce qu’on voulait faire d’elle, elle assume le candide et l’incandescence, revendique l’art de porter l’amour en collier et refuse de choisir entre la tête et le ventre. « La guitare n’a pas voulu de moi / ni le piano / l’amour, lui, m’a offert pour demeure / ses palais / a fait sien mon corps / sans me poser de questions / sans me demander mes / diplômes. »
On écrit toujours avec son corps, il est le lieu où le poème prend langue. « Le corps garde pour le poème le désir qui le remue. » Un corps ouvert à toutes les attentes, à toutes les dérives, à toutes les jouissances. D’où une poésie de la chair, du vivant, de la peau, de la révolte contre le cahier de charges que l’on reçoit à sa naissance en fonction de son genre, ou contre les machines aliénantes de l’espace social. « Un matin d’avril / je sors sans culotte / sous ma robe en jean / arpenter la rue / car je m’en fous ». L’écriture est directe, claire, ne cache rien des aspects sexuels ou maternels du corps féminin. « La maternité, c’est la peau poursuivant le serpent pour lui demander des comptes, de la gratitude et de ne pas oublier son écharpe. » Une approche libre et intrépide qui associe les figures de la mère et de la putain dans un même corps et dans une même parole à la fois bienveillante et tranchante. « Il n’y a pas plus putain que La mère et plus mère que La putain. » Des poèmes qui se répondent d’un recueil à l’autre, exaltent la liberté d’une vie choisie et multiple, témoignent d’une position dans le monde ou d’une disposition à l’affranchissement ou à la déprise. Au confluent de l’Être-femme et de l’Être-langue, ils dévoilent leur complicité profonde avec les forces d’ordre et de désordre du désir, érigent la nudité en lieu de vérité, donnent présence et panache à une vraie liberté d’être.
Une poésie totalement incarnée, saturée de tension érotique et de mensonges qui disent la vérité. « À une vie à faire bâiller les morts / je préfère mentir / et mentir / et mentir // Et ainsi dire la vérité / (C’est le prix de mon désir) ». Une poésie au-devant de laquelle il faut aller comme on va vers l’éclair de la rencontre. Avec le rêve en partage.
Richard Blin
Mine de rien
Rim Battal
Avec une préface d’Arthur H
Le Castor astral, 172 pages, 9 €
Poésie À corps perdu
avril 2022 | Le Matricule des Anges n°232
| par
Richard Blin
Nue dans l’éclat de sa mise en œuvre, la poésie de Rim Battal se noue autour d’un amour de la vie fardé de perversité candide.
Un livre
À corps perdu
Par
Richard Blin
Le Matricule des Anges n°232
, avril 2022.