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Poésie Un nomadisme sauvage

juin 2024 | Le Matricule des Anges n°254 | par Richard Blin

S’espacer, se repenser comme une autre, tel est le paysage mental autour duquel s’organise le nouveau livre de Sophie Loizeau.

L' Île du renard polaire de To Kirsikka

L’extravagance a du bon, surtout avec Sophie Loizeau. Extra-vagans, qui erre au-dehors nous dit l’étymologie, mais, chez Loizeau, cette errance est un mouvement d’élargissement qui tient autant du décentrement que de la divagation. Il a consisté à déplacer le poème « du côté de l’altérité », à se laisser dériver vers un autre espace mental, à sortir du huis clos de son identité pour se réinventer en tant que poète et pour découvrir une manière d’écrire en tant qu’autre. Un désir de déconditionnement, un besoin d’intranquillité, une forme de mue qui l’a conduite en Finlande, et dans la tête et la peau d’une poète finnoise misanthrope et sauvage, « squatteuse de cabanes » et seule habitante d’une île héritée de son père, en mer Baltique. Une artiste tourmentée qui vécut très mal les changements imposés à son environnement, et finit par disparaître mystérieusement.
De cette déterritorialisation est né L’Île du renard polaire de To Kirsikka, du nom de cette poète finnoise, dans le corps et l’esprit de laquelle Sophie Loizeau s’est logée et a vécu en parasite le temps de son voyage dans l’étrangement. Le livre, se présentant comme la traduction fictive d’un manuscrit autographe de To Kirsikka, propose un ensemble de textes relevant d’une écriture qui ne coule pas de source, qui se cherche, passe par des ajustements et des compromis, va d’évidences en coïncidences, se reconfigure selon le lieu, l’instant ou l’état d’âme. C’est qu’il a fallu qu’elle s’adapte, cette écriture, qu’elle apprivoise la langue de To, c’est-à-dire sa manière d’habiter son île, de vivre les choses sans distance ni séparation, d’être dans la présence et la porosité à un monde riche en magie et en mystères. Une façon d’exister qui mêle le masculin et le féminin, le ravissement et la peur, passe par un profond consentir au monde de l’invisible et à l’identification animale. « Ce que vivent / les animaux je le vis / calquée / sur la leur une vie / dehors / la nuit parfois aussi ».
S’appuyant sur un ensemble de documents dont nous sont montrées les reproductions, Sophie Loizeau multiplie les approches et donc les écritures au profit d’un livre où l’on trouve des vers, des proses, les notes d’un journal intime (Mes araignées, imprimé en rouge et formant une sorte de long poème hybride), deux récits, des dessins, des photos. Une construction baroque en ce sens que tout s’y nourrit du choc des contraires, n’y est que tension entre ordre et désordre, décentrement et recentrement. Un concert de visions et une pluralité de voix – dont celles de Leonora Carrington et d’Alejandra Pizarnik – à travers lesquelles se donne à lire et à voir le tumulte des réalités sensorielles, psychiques, mnémoniques et oniriques s’enroulant et se déroulant, dedans et dehors, au rythme d’un corps à corps où se fondent l’une dans l’autre les deux « grandes Femmelles » sauvages – femme et femelle confondues – que sont Loizeau et Kirsikka. Deux femmelles partageant la même passion pour la nature, la même soif de solitude, la même quête de havres. « Au fond des havres on respire, on gonfle la poitrine et la pensée ligotée se délie. » S’enfermer, se retirer dans l’invisibilité d’un espace rétréci, sans troubler la faune et sans être débusquée, est ainsi un rituel qui – par-delà la recherche de la « bonne assiette », un emplacement « de la circonférence des fesses », débarrassé de tout ce qui traîne : cailloux, bouts de bois, ronces… – a pour fin la jouissance de ce qui est là, qui est plus grand que nous et augmente notre sensation de la vie. « Aucun bruit humain / rien que la nature s’exprimant par le torrent / et le vent / par les feuilles / et les geais ferraillant dans les arbres. »
Alors, quand la rage dévastatrice des coupeurs de bois ou des chasseurs accoste sur l’île, Kirsikka voit rouge, lance des anathèmes – « Tire-toi une balle, je crache par-dessus mon épaule. Coupe-toi le pied, les deux ! » – et prédit : « Tout contact avec mes congénères / se soldera tôt ou tard / par l’incompréhension / la haine. » Une coupure avec l’espèce humaine dont elle souffre, et subit les conséquences. « Ils m’ont balancé de la falaise et m’ont dit vole ! »
Écrit par un corps traversé par des lieux, une langue, des formes perçues comme des présences, L’Île du renard polaire de To Kirsikka est un livre où vibre l’invisible sensible et où perce la nostalgie d’un monde d’avant nos regards et nos mots. Le livre d’une « Rêveuse-de-mystère » qui aime « l’état traversant », celui où on ne se quitte pas vraiment, où l’on « devien(t) / hier et maintenant », et où l’on peut « faire s’interpénétrer les espaces / mentaux ».

Richard Blin

L’Île du renard polaire de To Kirsikka
de Sophie Loizeau
Champ Vallon, 128 pages, 19,50

Un nomadisme sauvage Par Richard Blin
Le Matricule des Anges n°254 , juin 2024.
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