Àtrop focaliser sur Élisée Reclus et Henry David Thoreau, on en viendrait à réécrire l’histoire de l’écologie imprimée, en occultant comme souvent l’essentiel de la variété du champ. Et du champ, nous en avons besoin, au propre comme au figuré. Non, l’écologie ne s’est pas écrite à deux ou trois. Les archives en témoignent qui, si l’on veut bien les consulter en même temps que les bibliographies démontrent qu’il faut privilégier la variété plutôt que la simplicité. Ainsi, entre l’homme du ginseng Mikhail Prichvine (1873-1954), Rachel Carson (1907-1964) et quelques poignées d’autres, il y aurait lieu de redessiner le paysage livresque du sujet qui nous occupe tous. En lisant attentivement Literature of Nature. An international sourcebook (Patrick D. Murphy dir., Fitzroy Dearborn, 1998), il apparaît qu’une bonne partie des références du domaine sont restées inexploitées en France, y compris un certain Henry Beston… Mais comme l’écrivait Aldo Leopold, l’auteur de l’Almanach d’un comté des sables (1949), « À quoi bon la liberté, sans espace vide sur la carte ? »
Henry Beston, né le 1er juin 1888 à Boston dans le Massachusetts était un marin lassé de la guerre lorsqu’il songea à s’installer à Cape Cod, cette bande de terre sauvage qui fait face à l’océan entre New York et le Canada. Après avoir étudié à Harvard, donné des cours à l’université de Lyon en 1912, il s’engagea et connu les combats de la bataille de Verdun du côté des tranchées du Bois-le-Prêtre. Devenu attaché de presse de l’US Navy début 1918, il se trouve à bord d’un destroyer américain lors d’un engagement et du naufrage de sa nef. Deux livres relatent ses expériences, A Volunteer Poilu (1916) et Full Speed Ahead (1919), ils n’ont jamais été traduits en français. Le seul de la dizaine d’ouvrages qu’il publia à bénéficier d’une mise en vente sur le territoire hexagonal, livres de contes de fées compris, reste le fruit d’une étonnante expérience d’ermitage dont on goûte de plus en plus les récits : The Outermost House, de 1928. Autrement dit, Une maison au bout du monde, titre traduit en 1953.
Ce sont les éditions Delamain et Boutelleau, créatrices de la magnifique collection « Les Livres de nature » (1928-1955), qui assuma cette publication dans une nouvelle série intitulée « L’Homme sur la Terre ». La parution du livre n’était pas destinée à secouer beaucoup Landernau, ni à s’ancrer longuement dans les mémoires. Beston y clamait pourtant en toutes lettres : « La Nature, voilà mon pays. » De son achat d’un bout de terre à Cape Cod en 1925 et de sa commande d’une cabane en bois jusqu’à l’ultimatum de sa fiancée, « No book, no marriage », il n’y aura pas eu beaucoup de temps. C’est en 1927 en effet qu’au retour de deux semaines passées à Cape Cod que sa future femme, Elizabeth Coatsworth (1893-1986) écrivaine elle-même, met le marché en main de son velléitaire de fiancé. L’amour est un carburant efficace : un an plus tard The Outermost House était publié, le mariage célébré six mois plus tard. Le livre allait devenir un best-seller, tandis que la cabane devenait, elle, la destination d’un pèlerinage naturaliste des touristes américains. En 1949, onze impressions s’étaient succédé. Depuis la mort de Beston le 14 avril 1968, la cabane originelle a été détruite par une tempête, mais elle a été reconstruite, et les Américains y poursuivent leurs visites émues.
Robinsonade moderne, La Maison au bout du monde est le livre d’un homme simple, affable et curieux, qui se montre désireux de découvrir les détails de la nature qui l’entoure. On dirait aujourd’hui l’écosystème dans lequel il s’immerge. Et avec l’océan, il a l’occasion d’en éprouver la nature aqueuse. Sa plume fera dire à Rachel Carson que c’est le livre dont le style l’a le plus influencée, ce qui n’est pas un mince compliment. Dans le manque des fournitures élémentaires, Beston décrit ses sensations, la chaleur, la force des vents et la piqûre des grains de sable projetés par la tempête. Il découvre les mystères de son territoire survolé par les oiseaux migrateurs et partage avec les occupants hominidés ou sauvages les lieux. En homme simple et non en scientifique, puisque la Terre s’offre à tous. (Thoreau y était passé lui aussi pour voir l’océan trois quarts de siècle auparavant.) Son action permettra la création en 1960 du Cape Cod National Seashore, organisme de protection de Cape Cod.
« Ici, écrivait-il, l’océan courtise le dernier rempart de deux mondes. » Son livre, désormais en bonne place parmi les classiques majeurs de la littérature de nature américaine, méritait de se laisser lire à nouveau.
Éric Dussert
La Maison au bout du monde
Henry Beston
Traduit de l’américain par Marguerite Faguer et Germaine Klenowski
Corti, « Biophilia », 192 p., 19 € (à paraître le 5 mai)
Égarés, oubliés Océan, sable et vent
Américain francophile, Henry Beston s’est installé seul sur la lande de Cape Cod pour observer la nature. Sa cabane du bout du monde est devenue un lieu de pèlerinage, son récit reparaît sous peu.