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En grande surface Gossophobie

avril 2022 | Le Matricule des Anges n°232 | par Pierre Mondot

Preuve que la censure médiatique ne muselle pas la communauté poutinophile en son entier, François Busnel convie Gérard Depardieu sur le plateau de « La Grande Librairie ». L’animateur attaque fort : « Selon vous, la littérature vaut mieux que le cinéma ? » Oui, répond sans hésiter le gros homme, car « lire, c’est se faire un film dans sa tête ». Passée cette fulgurance liminaire, le niveau de l’échange décroît lentement jusqu’au moment où l’acteur avoue sa déception devant la médiocrité des productions contemporaines : « Les livres aujourd’hui racontent des petits mois… J’ai feuilleté Raphaël Enthoven ou Frédéric Beigbeder, pfff, c’est pas des livres, c’est des albums photos… » L’animateur s’indigne et, pour réfuter un jugement qui fragilise sa boutique, présente à son invité un des volumes exposés devant lui. L’autre s’en saisit, déclame les premières lignes de la quatrième de couverture et convient que oui, ah non, là, hein, c’est différent, car il y a une histoire, hein. Un insert à l’écran précise les références du chef-d’œuvre : Le gosse, par Véronique Olmi.
Olmi ? Objet littéraire… moyennement identifié. C’est pourtant son quinzième roman, nous éclaire cordialement Siri, le cuistre artificiel tapi dans le téléphone. On fouille dans les archives de la revue. Deux papiers, datés du début du siècle. On s’amuse, à un an d’écart, de la proximité des titres : « Vue sur l’amer » ici, « Fille et amère » là. Suffisant pour comprendre que l’autrice chasse sur le terrain des névroses familiales (pléonasme). Pour Catherine Dupérou (N°35), Bord de mer est écrit « dans une langue simple et rugueuse ». Pascal Paillardet (N°40) juge quant à lui que Numéro six est « porté par une prose souvent tentée par l’éruption poétique ». Vingt ans après, comparons.
L’action se déroule dans les Années folles. Joseph Vasseur, 7 ans à l’ouverture du roman, en est le personnage principal. Il a perdu une moitié de son père dans les tranchées (« une gueule cassée »), avant que l’autre ne soit emportée par la grippe espagnole. On pourrait déjà sangloter, mais ça va, car Colette, la maman est « gaie pour deux ». Hélas, la voilà qui trépasse, à la suite d’un avortement bâclé. La vie de l’enfant bascule. Récupéré par l’assistance publique, Joseph est envoyé en Picardie, chez les Maldue, une famille de paysans dont le patronyme laisse présager le pire. Il en fugue. Repris par les gendarmes, il est encagé à La Roquette avant d’être expédié à Mettray. On connaît ce lieu : c’est la maison de redressement décrite par Jean Genet dans Miracle de la rose. Véronique Olmi lui emprunte l’argot (perlot, gaffes, déclanche), les anecdotes que se racontent les détenus (les paysans voisins qui relient une clochette à leur corde à linge pour piéger les bagnards en cavale et récupérer la prime) et au moins un personnage (Guépin, l’odieux maton). Joseph découvre la brutalité de l’univers carcéral : viols, insultes, brimades des surveillants ou de ses propres camarades, chaque chapitre charrie son lot d’infortunes nouvelles. C’est d’autant plus émouvant qu’à l’époque, les enfants sont mignons : ce sont les titis de Doisneau ou les cancres de Prévert, ceux qui disent non avec la tête, mais oui avec le cœur (quand aujourd’hui, tant qu’il y a du wifi, pas un mot). Lorsque Jojo tombe amoureux d’Aimé (dont le patronyme laisse présager le meilleur), on pense que le nuage lacrymogène qui empoisonne le récit va enfin se dissiper, mais non, nouvelle déconvenue, leur premier corps à corps révèle chez l’adolescent d’inquiétants symptômes de schizophrénie : « Joseph enfonce sa tête contre le buste du garçon si grand et tout entier penché sur lui (…). Il entend un cri minuscule, une longue plainte aiguë, maladroite et irrégulière. Il met du temps à comprendre que c’est lui qui crie. » À moins qu’il s’agisse du prurit poétique diagnostiqué par Pascal Paillardet vingt ans plus tôt. Car après avoir enfoncé toutes les banderilles à disposition dans la chair de son innocente créature, Olmi enchaîne autour de la bête blessée les véroniques rhétoriques : « La musique est cette omniprésence invisible. Il la traque et l’entend partout, elle vit dans ce qui est beau et dans ce qui est laid, et il se demande si dans la mort elle se tait tout à fait, si c’est pour cela que le visage du crucifié ne peut se relever : il n’entend plus la musique. La mort n’a pas de mélodie. »
Oui, parce qu’entre-temps Jojo s’est pris de passion pour le cornet à pistons. Et coup de bol, il rencontre un impresario qui parvient à l’extraire de la colonie pour le faire embaucher au cirque Médrano (exactement le même scénario que Genet avec Sartre). Ce n’est pas pour autant la fin du calvaire, et les montagnes ukrainiennes (résistance !) se poursuivent jusqu’à la dernière phrase : « On est arrivés. » Ouf.
La souffrance a changé d’âge et si ce récit échoue à susciter l’empathie, la suite (Le vioc), qui contera l’entrée de Joseph dans un Ehpad Orpea ou Korian, promet d’être bouleversante.

Gossophobie Par Pierre Mondot
Le Matricule des Anges n°232 , avril 2022.
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