Il y eut les « canards sanglants » puis la presse à scandale et, toujours, les affaires de mœurs et de sang accaparaient la une. Ça n’a pas beaucoup changé, l’être humain fonctionne toujours grâce aux mêmes ressorts, selon les mêmes mobiles. L’un qui l’avait bien compris, c’était Henri Frémont, un journaliste et romancier, fondateur du Républicain et du Bulletin meusien qui vécut entre 1869, date de sa naissance à Paris, et 1944, moment de sa disparition à Verdun. Enfant de Paris, il avait fait ses classes dans la capitale et c’est du reste là qu’il s’enquit d’une histoire pas commune qui mettait aux prises les autorités avec des bandes d’« apaches », jeunes voyous qui terrorisaient l’Est parisien, des gaillards prompts à suriner le bourgeois et à se rebiffer lorsque la maréchaussée leur tombait sur le râble.
Le quartier de Bastille et du XIe arrondissement était le lieu favori de leurs exactions : quartier populaire, et même prolétaire, où les conditions de vie précaires autorisaient toutes les incartades, favorisaient l’insécurité. « Et voici que nous découvrons, sur la hauteur une sorte de vieux birbe, couché dans l’herbe et qui, tel un moulin à café, mâchonnait trente-six paroles à la minute. Dès qu’il nous aperçut, il se mit sur son séant et roula des yeux de fou de notre côté. Au vrai, nous avions un peu peur ; mais soudain, il se fit très aimable et nous envoya mille baisers du bout des doigts. Venez, disait-il… venez ! j’ai des bonbons, des sous pour les petites filles qui sont bien gentilles ! »
C’est dans cet environnement que la jeune Amélie Élie, née à Orléans le 14 mars 1878 va faire des étincelles. D’une part parce que cette « gigolette » tapine dès l’âge de 14 ans, après s’être mise en ménage avec un jeune ouvrier de 15 ans, et parce que, riche d’une belle chevelure blonde pour laquelle on l’a surnommée « Casque d’or », elle attise les convoitises de Manda, surnommé « L’Homme », et de Leca, qui tout uniment vont se mettre des coups de poignard et des balles dans le corps. C’est du reste le plus souvent Leca qui est blessé mais il sait se tenir face aux policiers. Manda est, il est vrai, un homme jaloux particulièrement violent… « Que de fois, en sortant d’un bal, j’ai vu Manda se précipiter sur de vieux ou de récents amis, coupables, à son goût, de m’avoir serrée de trop près pendant le quadrille. “Mélie, me disait-il, va donc chercher une voiture… Tu la feras stationner là-bas… au coin de la rue…” Quelques instants plus tard, il accourait me rejoindre ; et si j’avais la curiosité de regarder en arrière, j’apercevais presque toujours une forme d’homme étendue sur le trottoir, avec dix personnes autour… »
L’affaire fait grand bruit car Leca subit trois attentats successifs et les bandes respectives des deux compères commencent à faire rugir leurs armes. Dans Le Petit Journal, Arthur Dupin lance en 1902 le mot en s’exclamant : « Ce sont là des mœurs d’Apaches, du Far West ». Voilà baptisés les « apaches » et la machine à billets va se mettre à tourner car aucune machine commerciale ne vaut celle qui vend au bourgeois voulant s’émoustiller sexe et coups et raisiné. Notre journaliste avisé retrouve Amélie Élie incarcérée et va lui faire débiter son histoire, qu’il réécrit un peu afin de lui donner allure livresque : les Mémoires de Casque d’or paraissent en feuilleton dans le journal Fin de Siècle du 5 juin au 3 août 1902 puis en volume.
Aussitôt paraissent les Amours d’apaches, roman de la basse pègre d’Alphonse Gallais (P. Fort, 1903), un spécialiste du genre et Charles-Henry Hirsch donne son fameux Le Tigre et Coquelicot (Librairie universelle, 1905) qui s’inspire lui aussi directement de l’affaire Manda-Leca. L’épopée du faubourg va être racontée des dizaines de fois, et parfois même mise en scène, comme le fait Georges Méliès dans un muet de 1904 ou, et c’est l’apothéose du sujet, Jacques Becker qui porte aux nues Simone Signoret dans le rôle de Casque d’or en 1952 et donne à l’histoire de la petite prostituée une allure de drame classique. Il est vrai qu’Amélie avait poussé son rôle du côté de grands sentiments en prétendant que la péripatéticienne « fournit du rêve aux hommes » et soulage même les épouses de leur devoir conjugal. Amélie était une chic fille.
Oubliant Casque d’or, elle finira paisiblement sa vie en s’établissant marchande des quatre-saisons, puis en tirant sa révérence, le 6 avril 1933 à Bagnolet. Dès 1914, l’entrée de la France en guerre avait réglé définitivement le problème de la voyouterie post-adolescente. On sait comment.
Éric Dussert
Mémoires de Casque d’or
Racontés par Amélie Élie
Recueillis par Henri Frémont
Illustrés par Damien Levetti
L’Apprentie, 160 pages, 16,50 €
Égarés, oubliés Sexe et coups et raisiné
mai 2022 | Le Matricule des Anges n°233
| par
Éric Dussert
Gigolette suscitant la rivalité amoureuse de deux chefs de bandes apaches, Amélie Élie, dite Casque d’or, a raconté son histoire.
Un livre
Sexe et coups et raisiné
Par
Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°233
, mai 2022.