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Domaine français La déglingue

juin 2022 | Le Matricule des Anges n°234 | par Dominique Aussenac

Dans un roman-poème, la Belge Veronika Mabardi évoque son demi-frère coréen disparu. Sobre, beau, tout en clair-obscur.

Sauvage est celui qui se sauve

Qui sommes-nous ? Qui nous définit ? Est-ce si important de posséder une identité ? Une carte, la justification d’être quelqu’un en ce bas monde ? « Parfois, on me demande quelles sont mes origines. Alors je décline, la Flandre, l’Égypte, le Brabant Wallon. Si l’on insiste, je dis : “ je viens d’une famille métisse, une famille de déracinés, spécialisée en greffes de tout genre“. Mais puisqu’il est question d’identité et que l’identité, c’est d’abord avec soi, je suis la sœur d’un enfant de Corée. »
Chez les Mabardi, famille unie, de gauche, on est donc mi, demi, semi, mi-mi. Le père est un architecte mi-égyptien mi-belge. La mère, un volcan des Flandres « que les terres occupées et les génocides en tout genre mettaient en ébullition. » La tante Dominique est hippie et marche pieds nus. Quant aux enfants, deux sont d’ici et deux autres d’ailleurs, adoptés, un frère et une sœur. Shin Do Mabardi a débarqué à 5 ans de Corée. « Arraché à un monde dont j’ignorais tout. Arrivant dans un monde où tu ne reconnaissais rien. Brûlant et tremblant d’avoir pleuré toute la nuit dans l’avion qui t’arrachait à un continent pour te transposer dans un autre, laissant là-bas un morceau de toi. Toi, posé ici, face à d’autres enfants aux yeux écarquillés. » Malgré l’amour, la greffe ne prendra pas ou alors pas comme on aurait voulu l’entendre. Le terme de déracinement revient souvent et puis il y a toujours l’étrangeté de l’étranger, les yeux bridés… « Je porte un masque de chinois sur une figure de blanc. Quand ils me regardent, ils ne voient que le masque. » Adolescent fugueur, squatteur, en marge, il se consacre peu à peu à l’art, la poterie, le dessin (quelques-uns d’entre eux parsèment le récit), puis décède dans un accident de voiture. Une mort annoncée ? Un suicide masqué ? Un être meurt pas assez impliqué dans la société, ayant refusé d’adhérer au système « parce que ce serait renoncer à regarder la vie les yeux ouverts ».
Veronika Mabardi quête ses traces et dresse ici une carte du Tendre, de ses slaloms entre ses ombres. Il y a quelque chose d’Antigone en elle. Une Antigone qui cherche un tombeau pour enfouir un fantôme. Celui de ce frère, des souvenirs qui vont avec et aussi de tout ce travail de deuil en grève générale. Comédienne, elle écrit pour le théâtre ainsi qu’au carrefour des arts, plastiques, sonores, dansés… Elle est l’auteure d’une quinzaine d’ouvrages. Celui-ci surprend par la puissance de ses mots comme si le texte était le résultat d’un long précipité produisant une espèce d’anticorps, un long poème oxymorique, un gigantesque haïku. Chaque mot atteint sa cible. Certains en flottant, d’autres en chutant vertigineusement. Le ton est franc, direct, sans gras ni gluten. Les années défilent. Des époques, des révoltes sont convoquées, les années 70, 80. « La voix de Bowie traînaille dans les squats, ils n’en comprennent pas les mots. Il faudra des années pour qu’un jour quelqu’un se demande : “ça parlait de quoi, déjà, cette chanson qui donnait du courage ? Que disait cette voix qui nous faisait relever la tête et affronter les regards sur nos corps d’enfants-rois, d’enfants-pirates, d’apaches des années-yakari ? “ » Kurt Cobain se tire une balle dans la tête. Paraît que Neil Young avait essayé de le joindre juste avant.
La famille s’agrandit. L’auteure devient maman. « Quand on a demandé à Shin Do d’être son parrain, il a eu l’air étonné : “moi, tu rigoles ? Je ne suis pas un exemple.“ » Et puis, après l’accident, la morgue, la crémation. Une malle attendra vingt ans avant d’être ouverte, des mots épars, des mots de doute, de refus, des dessins en suinteront, provoquant des retrouvailles en rêve, des paroles elles aussi fantomatiques : « tu peux laisser la porte ouverte aussi longtemps que tu en as besoin. Ça ne me dérange pas », dit le frère absent.

Dominique Aussenac

Sauvage est celui qui se sauve
Veronika Mabardi
Esperluète, 194 pages, 18

La déglingue Par Dominique Aussenac
Le Matricule des Anges n°234 , juin 2022.
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