Suivons Shelby Foote et Bart le magnifique en compagnie de son traducteur, Paul Carmignani, professeur émérite de littérature américaine aux universités de Perpignan et de Montpellier III. Il est l’auteur notamment de Shelby Foote, un écrivain sudiste au carré (Belin, 1998).
Pourquoi cette volonté obsessionnelle chez Shelby Foote de rendre compte d’une période si particulière ?
Cette volonté de compréhension non seulement de son époque mais aussi de son milieu ou « terroir », Shelby Foote la partage avec de nombreux écrivains, à commencer par Faulkner, bien sûr. La littérature est une « anthropologie », au sens propre, c’est-à-dire un discours sur l’homme dans son milieu familier et confronté aux problèmes de son temps, ce qui n’empêche pas l’écrivain de transcender et son époque et son milieu notamment par son travail sur le langage, le style – deuxième critère de la littérature authentique. Le troisième serait une préoccupation morale, ce qui est le cas de Foote. Comment le Sud, qui avait tout pour être une terre bénie de dieux, s’est-il mué en lieu maudit, source des tares les plus funestes des États-Unis ? D’où le recours de Foote à l’Histoire dans la seconde partie de sa carrière.
Quelle maturité d’écriture…
Oui, cela tient au fait que ce premier roman a connu une longue gestation et maturation ; c’est le roman d’un faux débutant qui, en outre, s’est toujours intéressé aux questions que pose le mystère de la création romanesque comme en témoigne sa correspondance avec Walker Percy, autre écrivain avec qui il a passé sa vie à débattre de sa vocation d’écrivain, de technique romanesque, etc. J’ai été surpris quand j’ai découvert cette correspondance, car je ne m’attendais pas à une telle réflexion – profonde, informée et continue – sur ce qu’est l’art d’écrire.
Quant au fait que « ça » (disons l’esprit du lieu) parle à travers lui, c’est là encore un critère décisif : un bon écrivain est une « chambre d’échos » de son temps et de son milieu, mais de manière indirecte, oblique, à travers son art, et pas à la façon d’un sociologue. J’ai eu l’occasion de défendre l’idée, paradoxale, qu’à la limite on peut dire que c’est l’écrivain qui est choisi par son sujet : ici, le Sud, qui effectivement parle à travers l’auteur. Mais c’est le sentiment que donnent tous les écrivains sudistes, ce n’est pas propre à Foote.
Quelle a été sa relation à Faulkner ?
Relation pétrie d’admiration et de respect devant le génial aîné et précurseur avec, ce qui ne manque pas d’audace, un élément de compétition chez Foote, qui a voulu très tôt se poser en héritier ou en concurrent. Faulkner a été « bienveillant » avec lui, car il aurait pu l’envoyer balader dans la mesure où les deux écrivains ne « boxaient » pas dans la même catégorie : le géant a favorablement accueilli la première publication de son cadet et a eu des « mots aimables » à son égard, mais la supériorité de Faulkner est écrasante et...
Entretiens Shelby Foote, la voix du Sud
juin 2022 | Le Matricule des Anges n°234
| par
Dominique Aussenac
Un livre