La lettre de diffusion

Votre panier

Le panier est vide.

Nous contacter

Le Matricule des Anges
ZA Loup à Loup 83570 Cotignac
tel ‭04 94 80 99 64‬
lmda@lmda.net

Connectez-vous avec les anges

Vous n'êtes actuellement pas identifié. Pour pouvoir commander un numéro, un abonnement ou bien profiter, en tant qu'abonné, des archives en ligne, vous devez vous connecter avec votre compte.

Retrouver un compte

Vous avez un compte mais vous ne souvenez plus du mot de passe ? Vous êtes abonné-e mais vous vous connectez pour la première fois ? Vous avez déjà créé un compte, peut-être, vous ne savez plus trop ?

Créer un nouveau compte

Vous inscrire sur ce site Identifiants personnels

Indiquez ici votre nom et votre adresse email. Votre identifiant personnel vous parviendra rapidement, par courrier électronique.

Informations personnelles

Pas encore de compte?
Soyez un ange, abonnez-vous!

Vous ne savez pas comment vous connecter?

Égarés, oubliés Ça a débuté comme ça

juin 2022 | Le Matricule des Anges n°234 | par Éric Dussert

La parution de Guerre, rédigé par un Céline en pleine mutation, démontre qu’il reste à découvrir certains aspects d’une œuvre roborative.

Bien avant l’invention des réseaux sociaux, Louis-Ferdinand Céline a permis la prolifération du blabla intempestif. On doit ajouter que la nature unique et la qualité de son œuvre extraordinaire, son caractère roboratif en particulier, justifient cet intérêt. La nouvelle pièce qui nous est offerte ne déroge pas aux habitudes : Guerre, roman inédit de 1934 enfin publié, est une prose passionnante du dispositif célinien qui s’intercale entre le Voyage au bout de la nuit de 1932, vaste échantillonnage du monde et des destructions engendrées par la guerre et son front, le « gros pilon pour con », et Mort à crédit (1936), fruit de cette autre « monstrueuse entreprise » qu’est vivre, dans le « monde d’après », où se déploient avec cynisme la mort, le sexe sordide et le vomissement. Bien plus scandaleux que le Voyage, ce deuxième roman pouvait préparer à la lecture de Guerre, rotule permettant le passage du soldat Destouches au pamphlétaire Céline. Prévoyant en juillet 1934 d’écrire « Enfance – la guerre – Londres » dans une œuvre d’ampleur, Céline a découpé en trois son projet ambitieux en donnant d’abord Mort à crédit (Denoël, mai 1936) puis laissant le premier jet de Guerre, Londres et La Volonté du roi Krogold qui vont paraître à la riflette dans les mois qui viennent, avec la version intégrale de Casse-pipe.
Dès les premiers mots de Guerre, « Pas tout à fait », tronqués pour une raison inexplicable (la critique génétique a pourtant fait ses preuves) – disons donc plutôt : dès les premiers paragraphes qui figuraient sur le feuillet numéroté « 10 » du manuscrit (on en déduit ce que l’on peut faute d’explication claire) on est assuré d’être en plein univers célinien : Bardamu est à terre, le 25 octobre 1914 à Ypres, à Peolekapelle, épaule bousillée, sabré et blessé par balle, crâne envahi par le vacarme de la guerre. Il s’en plaindra toute sa vie et donne ici une mémorable forme à sa commotion : « J’ai attrapé la guerre dans ma tête. Elle est enfermée dans ma tête. » Le dégueulasse et le brutal, Céline ne compte pas l’épargner. Il précise qu’il a la face collée au sol par le sang séché de sa blessure. « Question d’être sonné on pouvait pas mieux faire. »
Cette expérience primordiale lui fait monter un théâtre de guignols où aucune institution ne trouve de salut. Céline vomit dès qu’il en a l’occasion la démocratie représentative (il sera parmi les manifestants du 6 février 1934), l’armée limitée à la présence nocive du « conseil de guerre » qui fusille qui bon lui semble, les soldats dévirilisés en chiffes hospitalisées, les bourgeois ridicules et leurs épouses, les femmes du peuple devenues puissantes donc dangereuses – au point qu’on en viole une, prostituée, pour faire bonne mesure (elle a le tort d’avoir donné son souteneur au conseil de guerre) –, la cheffesse de l’hôpital, branleuse perverse et nécrophile, et, bien entendu, les « sidis » et les « bicots » qui ne sont pas comme les Hexagonaux, honnis eux aussi. Destouches qui se raconte en Bardamu est désormais un être totalement sauvage tendu vers son plaisir, bataillant pour son seul salut. Dérivant, comme l’on sait, de plus en plus. Le voici soigné, médaillé et dirigé vers Londres où sa vie va se poursuivre en sécurité.
Reste la question de la langue célinienne, cette langue orale muée par l’alchimie personnelle du docteur Destouches en une langue littéraire (dixit Julien Gracq, admiratif), sa langue crue pleine de ressort, de hargne, vindicative, élastique et brutale. On la retrouve ici en sortie de plume, non retravaillée, et c’est passionnant. L’histoire de ces manuscrits reste à expliciter mais par bonheur deux universitaires sérieuses, Anne Simonin (« A distance : Céline et ses juges » in Procès politiques, colloque de l’université d’Orléans, novembre 2021) et Odile Roynette (AOC en ligne) ont proposé des analyses intéressantes sur le cas Céline et ce livre. On peut désormais s’y retrouver sans passer par les succursales de Radio-Vichy ou les confusionnistes rayonnants. Tout cela donne plus de poids à la conclusion d’Odette Roynette qui constate que le plus dérangeant de Guerre, ce pamphlet en cours d’élaboration, c’est la volonté de Céline de détruire tout espoir. Toi qui entres en Guerre, perds toute espérance.

Éric Dussert

Guerre
Louis-Ferdinand Céline
Édition établie par Pascal Fouché
Préface de François Gibault
Gallimard, 188 pages, 19

Ça a débuté comme ça Par Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°234 , juin 2022.
LMDA papier n°234
6,50 
LMDA PDF n°234
4,00