À l’heure où les débats sur les réseaux sociaux vont bon train, certains défendant leur utilité en tant que champ d’une libre expression pendant que d’autres dénoncent les contenus haineux qu’ils véhiculent, voilà une pièce qui tombe à pic. Au début, le Créateur partait d’un bon sentiment : « On avait le fantasme d’un monde parallèle dans lequel tout le monde parlerait un langage commun ». Mais l’être humain a tout saccagé. Il a fallu embaucher des modérateurs. Parmi eux, Alexa, qui a, comme on dit, pété un câble. Une journaliste qui enquête sur le sujet rencontre ses trois collègues de travail. Avec eux, nous allons visiter leur call center, et nous confronter aux questions qu’ils se posent. Sur leurs conditions de travail, sur les contenus qu’ils visionnent, et sur l’attitude à adopter. Une scène atroce peut être considérée comme une dénonciation et rester en ligne. Mais elle peut aussi être jugée comme incitant le spectateur à passer à l’acte lui-même et sera donc retirée. Chacun se définit une stratégie personnelle. Lily : « Je sais séparer la femme que je suis de la modératrice. Je laisse en ligne des contenus racistes, des photos d’automutilation et des vidéos d’abus sur mineurs parce que c’est ce qu’on me demande. » Marc : « C’est moi qui décide de ce qui parviendra aux yeux de tous, de tous les autres. Précisément, c’est pour eux que je fais ça. Pour sauver un peu de leur innocence. » Mais Alexa ne peut pas. Et un jour, tout lâche. Elle s’en prend violemment à son manager, à ses collègues et déclenche un streaming en direct dans lequel elle dit enfin ce qu’elle pense vraiment de ce boulot. Et puis : « Elle est restée, sans bouger, seule, dans l’open space qu’elle avait vidé à la force de ses cris. (…) puis les pompiers sont entrés pour voir comment elle allait. Invasion. »
L’histoire est habilement construite, l’écriture alterne des scènes dialoguées et de longs monologues dans lesquels les personnages expriment leurs doutes, leurs failles, ou au contraire tentent de se rassurer. À la fin, il faut oublier. Mais qu’en est-il du droit à l’oubli sur les réseaux sociaux ?
PGB
Sans modération(s)
Azilys Tanneau
Lansman, 68 pages, 11 €
Théâtre Sans modération(s), d’Azilys Tanneau
juillet 2022 | Le Matricule des Anges n°235
| par
Patrick Gay Bellile
Un livre
Sans modération(s), d’Azilys Tanneau
Par
Patrick Gay Bellile
Le Matricule des Anges n°235
, juillet 2022.