Écrits sur le théâtre
Il est des artistes qui longtemps après leur disparition restent toujours une énigme, une forme de terra incognita. Parce qu’ils échappent aux classifications habituelles ou remettent en cause les principes les plus communément admis, parce qu’ils provoquent ou tiennent des propos jugés parfois incompréhensibles ; parce qu’ils révèlent aussi les noirceurs insoupçonnées qui séjournent au fond de chacun d’entre nous. Antonin Artaud est un peu tout cela. Par la quantité et l’intensité de ses écrits, par ses dessins, ses carnets, ses rapports au cinéma, aux drogues, à la folie, il est une référence pour tout le monde théâtral et en même temps un récif que l’on ne peut se contenter de contourner. Il faut s’y confronter. Son œuvre complète éditée représente 28 volumes, et peu certainement l’ont vraiment lue. Traversée de fulgurances, d’une poésie incandescente mais aussi de réflexions passionnantes sur le théâtre et ses rapports avec la vie, elle est une quête d’un absolu qu’il poursuivra toute sa vie.
C’est certainement pour donner l’envie de lire Artaud, et le sortir d’une image mêlant le scandale et la psychiatrie, mais aussi pour faire entendre son analyse et ses projets concernant le théâtre que Monique Borie a rassemblé ici, de manière chronologique et traversant toute son œuvre, des extraits soigneusement choisis. Car il avait une très haute estime du théâtre, estimant que lui seul peut changer la vie et donner accès, à l’instar des rêves, à la profondeur de l’être humain : « Si nous faisons un théâtre ce n’est pas pour jouer des pièces, mais pour arriver à ce que tout ce qu’il y a d’obscur dans l’esprit, d’enfoui, d’irrévélé se manifeste en une sorte de projection matérielle, réelle. » Car son propos est avant tout de sortir le théâtre de la littérature. Le théâtre n’est pas pour lui l’art de faire entendre les mots sur une scène, mais bien un savant agencement de gestes, de couleurs, de sons, de signes, visant à dépasser la réalité et à offrir une vision du monde métaphysique et non plus uniquement psychologique : « On a oublié que le théâtre est un acte sacré qui engage aussi bien celui qui le voit que celui qui l’exécute et que l’idée fondamentale du théâtre est celle-ci : un geste que l’on voit et que l’esprit reconstruit en images a autant de valeur qu’un geste que l’on fait. C’est pour cela qu’il n’y a pas de meilleur instrument de révolution que le théâtre. »
Curieux de tout, du théâtre balinais aux expériences des tribus mexicaines, il part à la recherche d’une unité, d’un sens donné à la vie. Il manifeste une pensée radicale qui restera dans le domaine théorique puisque bien que comédien et aussi metteur en scène, il n’a eu que peu d’occasions de mettre en pratique ses intuitions. Mais d’autres après lui s’en chargeront. Et si l’on pense au Living Theatre, c’est aujourd’hui le travail de Romeo Castellucci qui se rapproche peut-être le plus des visions d’Antonin Artaud.
Patrick Gay-Bellile
Écrits sur le théâtre
Antonin Artaud
Fragments choisis et présentés par Monique Borie
Les Solitaires Intempestifs, 128 pages, 14 €