Heureux les footeux amateurs qui ont, chevillés au cœur, la passion du ballon rond. Et peu importe qu’ils aient, foulant une pelouse, les pieds carrés ! Tout leur est bon pour vibrer, aussi bien les compétitions internationales que les parties dominicales entre amis. Le narrateur du nouveau livre de Didier Tronchet (Petit traité de vélosophie, Football mon amour…) est plus qu’un passionné : un obsessionnel ! Un peu barré sur les bords, le bonhomme ; il y a de l’excès dans son amour pour ce sport. Et c’est sans nul doute ce terrain psychologique – et peut-être aussi sa situation de chômeur désœuvré – qui lui vaut d’avoir, un jour, une théorie fulgurante comme d’autres ont des visions ou des apparitions. « Théorie décliniste » que voici : perdre contre l’Allemagne la demi-finale de la Coupe du monde 1982 à Séville, dans les conditions dantesques que l’on sait (la légendaire collision, dans la surface de réparation, entre le gardien Schumacher et le tricolore Battiston), ouvre « plus d’une décennie noire pour l’équipe de France ». De ce traumatisme daterait le début d’une « ère de récession » pour l’Hexagone, sportivement mais pas que, sur le plan de la mentalité collective aussi. C’est comme si tout un peuple avait contracté « le virus de la défaite » à la suite de ce « rêve brisé des Bleus » en Espagne. Il faudra attendre 1998 et la génération Zidane pour vraiment dissiper la malédiction, dissoudre la psychose généralisée. Telle est la révélation qui frappe le narrateur après un énième visionnage sur Internet de ce mythique match, croyant déceler, dans le déroulement de la rencontre, un détail que personne avant lui n’a vu.
Tient-elle la route, cette thèse d’un séisme footballistique à Séville suivi de répliques récurrentes ? Notre sans-emploi un rien looser enquête, aidé par Fred, son ami journaliste sportif dans un grand quotidien. Et qui mieux que les protagonistes de l’affaire pour confronter les points de vue ? Voir le tandem, trente-cinq ans après les faits, aller à la rencontre de l’arbitre, du portier de la Mannschaft, de Battiston, de Platini et même d’Hidalgo, entraîneur des Français à l’époque, nous vaudra de savoureuses pages.
De bout en bout le livre est drôle, mais derrière l’évidente légèreté du propos et la facétie du personnage principal, se fait entendre une folie douce. Au-delà de l’aspect footballistique, qui fait que ce roman s’adresse avant tout aux amateurs de tapis vert ex-collectionneurs de cartes Panini, quelque chose nous est dit, tendrement, de la relation intime qu’un homme entretient avec ce sport si particulier qu’est le foot. « Un match, c’est un petit théâtre intime… C’est votre histoire ! », fait dire à Hidalgo un Tronchet dont l’apparent penchant pour la bouffonnerie vise surtout à masquer une délicate mélancolie, douce elle aussi, comme la folie.
De toute évidence, ce livre parlera d’abord à ceux qui ne séparent pas leur modeste existence d’un certain rapport au(x) sport(s). En eux il résonnera fort, car ils y retrouveront exposés les ressorts psychologiques de leur consentante aliénation aux émotions sportives, cette drogue dure qui dure.
Anthony Dufraisse
Les Fantômes de Séville
Didier Tronchet
La Fosse aux ours, 156 p., 18 €
Domaine français Le barré de Séville
juillet 2022 | Le Matricule des Anges n°235
| par
Anthony Dufraisse
Quand un inoubliable match de foot reste une fracture à jamais ouverte.
Un livre
Le barré de Séville
Par
Anthony Dufraisse
Le Matricule des Anges n°235
, juillet 2022.