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Histoire littéraire Écrire contre l’oubli

juillet 2022 | Le Matricule des Anges n°235 | par Didier Garcia

Quarante ans après sa disparition, Georges Perec (1936-1982) nous revient avec Lieux, projet inachevé, qui est la « mesure du temps qui s’écoule ».

Il était attendu. Philippe Lejeune l’avait évoqué dans La Mémoire et l’oblique. Georges Perec autobiographe (P.O.L, 1991), et Perec lui-même en avait publié des extraits ici ou là. Le voici donc enfin…Comme nous l’apprend le texte 41, daté du 2 octobre 1970, et qui est un souvenir de l’île Saint-Louis, la configuration générale de Lieux fut déterminée en janvier 1969 par sa rupture avec Suzanne Lipinska (propriétaire du moulin d’Andé, où Truffaut a tourné certaines scènes des 400 coups) : « c’était à la fois trouver quelque chose à faire, et m’enraciner à Paris ». Quant au principe du volume, il obéissait à la volonté de ne pas oublier, autrement dit de « garder intact, répéter chaque année les mêmes souvenirs, évoquer les mêmes visages, les mêmes minuscules événements, rassembler tout dans une mémoire souveraine, démentielle ».
Pour mener à bien ce projet, Georges Perec avait donc choisi douze lieux parisiens (des rues et des places pour l’essentiel, mais aussi un quartier, une île, un passage), auxquels il entendait consacrer deux textes par an pendant douze ans, l’un écrit « sur place, en description réelle », l’autre de mémoire, donc « sur le mode du souvenir ». L’ensemble devait comporter 288 textes, rédigés de 1969 à 1980, et qu’il se proposait de présenter selon la combinatoire oulipienne du bi-carré latin d’ordre 12. Le volume ainsi conçu aurait dû être le quatrième et dernier volet d’un vaste ensemble autobiographique (l’autobiographie lui apparaissant « comme la seule écriture possible, vers laquelle tout tend »), dont seuls ont vu le jour Lieux où j’ai dormi et W ou le souvenir d’enfance.
Lieux
restera un projet inabouti. Commencé dans la foulée de La Disparition, il subit un premier arrêt en 1973. Après une année blanche, il reprend vie pour s’arrêter définitivement le 27 septembre 1975, avec le 138e et dernier texte, sur un graffiti d’une palissade en ciment de la rue Vilin (« travail = torture »). Un abandon qui n’a rien de très surprenant puisqu’en mai 1969 Perec s’interrogeait déjà : « je ne sais pas très bien à quoi rime ce projet ».
Le volume présente donc deux types de textes, situés aux antipodes les uns des autres. Volontairement rédigés de la manière « la plus neutre possible », les textes estampillés « réel » répondent à la logique de l’inventaire, tendant vers le relevé exhaustif. Par leur manière, ils rappellent ceux que l’on trouve dans Tentative d’épuisement d’un lieu parisien (1982), et sont moins intéressants que ceux des « lieux-souvenirs », d’ailleurs plus développés que les précédents, et pour lesquels Perec dit avoir privilégié la machine à écrire, « comme s’il fallait que ça aille vite ».
Ce sont les textes évoquant des souvenirs personnels, dans lesquels Perec assume l’usage de la première personne, qui sont les plus consistants. Par exemple, pour la rue de la Gaîté : « j’ai mangé une paire de saucisses frites au « Dôme » en écrivant quelques « Je me souviens » ». Des anamnèses qui ressuscitent le temps passé dans les salles de cinéma, aux tables des restaurants comme des cafés, en compagnie d’amis (au premier rang desquels se trouve Jacques Lederer), ou avec sa compagne Paulette. Mais la véritable richesse de l’ensemble provient surtout des passages dans lesquels il réfléchit sur son projet : « Le propos même de mon livre m’échappe : devenir des lieux, devenir de mon écriture, devenir de mes souvenirs, certes : mais remplis-je exactement chaque mois ces buts que je me suis assignés ? »
Si le livre invite le lecteur à privilégier une lecture linéaire, le site www.lieux-georges-perec.seuil.com propose quant à lui un parcours numérique à l’intérieur de l’œuvre, en accès libre, où chacun peut inventer ses propres Perec/rinations, soit à l’aide des filtrages suggérés (par année, par lieu, par type de texte), soit en circulant au gré de ses envies (une liberté qui n’aurait sans doute pas déplu à l’auteur).
Quel que soit le mode de lecture choisi, on y retrouvera le goût assumé de Perec pour l’infra-ordinaire, car ce que Lieux donne surtout à lire c’est « ce qu’il se passe quand il ne se passe rien, sinon du temps, des gens, des voitures et des nuages ». Autrement dit : de la vie.

Didier Garcia

Lieux
Georges Perec
Édité par Jean-Luc Joly
Avant-propos de Sylvia Richardson
Préface de Claude Burgelin, Seuil,
« La librairie du XXIe siècle », 612 pages, 27

Écrire contre l’oubli Par Didier Garcia
Le Matricule des Anges n°235 , juillet 2022.
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