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Essais Un vice nommé littérature

octobre 2022 | Le Matricule des Anges n°237 | par Richard Blin

Lucrèce Luciani pose un regard neuf sur le duo que forment saint Antoine et le cochon, tout en s’attachant au génie de Flaubert.

Un vrai régal que ce Cochon de Flaubert qui nous invite à partir à la rencontre du cochon tel qu’il apparaît au regard, et sous la plume, de Flaubert dans sa Tentation de saint Antoine, œuvre sur laquelle il a travaillé pendant trente ans et qui a connu trois versions différentes.
Mais pourquoi le cochon est-il associé à saint Antoine alors que l’on n’en trouve aucune trace dans sa vie ? L’amalgame s’est fait au Moyen Âge, époque où l’Ordre des Antonins pratiquait l’élevage des porcs en liberté pour assurer la nourriture aux pauvres, tout en soignant – sous l’invocation de saint Antoine, qui avait résisté au feu des Tentations – le fléau qu’était le mal des ardents ou « feu de saint Antoine ». Un temps où l’on croyait aux démons, et où on voyait dans le porc « l’habitacle chrétien des démons ».
Le cochon, Flaubert, enfant, l’a beaucoup vu lors des spectacles de foire à Rouen, qui donnaient La Tentation de saint Antoine, une féerie dont la vedette était un cochon virevoltant avec des pétards dans le derrière. Une Tentation qu’il retrouvera, à Gênes, sous la forme d’un tableau de Bruegel dont l’extravagance l’impressionna au point de vouloir en faire un arrangement pour le théâtre. Le thème ne le lâchera plus. Il en fait son régal, traité en gravure par Callot, ou peint par Jérôme Bosch qui le mit en scène deux fois, dans un triptyque aussi insensé que celui de Bruegel, et dans un tableau tout autre, titré La Tentation d’Antoine ou Petit saint Antoine, à partir duquel Lucrèce Luciani propose une autre lecture du cochon et de son Antoine.
Ce tableau, à première vue « délicieusement champêtre », montre le saint et un cochon dans un paysage baigné de vert et d’or. Antoine, en « soldat du Christ », est allé à la rencontre des démons qui, en ces temps de christianisme primitif où le vice n’est pas intériorisé, existent réellement, et harcèlent sans cesse le « fol en Dieu » qui n’a que sa foi à leur opposer. Une démone surtout est particulièrement active, une empêcheuse de tourner en rond dont la puissance de fascination plonge dans la prostration ou l’errance mortifère. Cette démone, c’est « Akèdia », l’acédie, le « Démon de midi », celui qui officie à midi pile et vous engloutit. C’est ce que montre Bosch dans son tableau : Antoine « écartelé dans la clarté la plus vive, non pas celle du Christ mais celle du soleil implacable de midi pile et en proie à la Tribulation par excellence d’Akèdia ». Il est assis près d’un cochon, dans la même position que lui, pattes repliées, mais « ce n’est pas le cochon qui ressemble à Antoine, c’est le saint qui a figure de cochon ».
Ce cochon caché dans l’akèdia de saint Antoine, on le retrouve dans la première version (1849) de La Tentation. Une « folâtrerie », tout en flamboiements et lyrisme galopant, dans laquelle Flaubert, qui n’a encore rien publié, s’est identifié à la figure de l’ermite. « Je me trouvais alors bien dans ma nature et je n’avais qu’à aller. » Ce qu’il écrit, il le tire de soi, de son sang, de ses entrailles. « Ce qui m’est naturel à moi, c’est le non naturel pour les autres, l’extraordinaire, le fantastique, la hurlade métaphysique, mythologique. » Il donne forme à ses propres terreurs, à ses tentations, à tout ce dont se tissent, dans le secret d’une intimité, les rapports de l’homme à l’œuvre. Pour Flaubert, il s’agit surtout d’échapper à l’Ennui, ce monstre qui a pris la place de l’acédie. « Avec Dieu l’acédie, sans Dieu l’Ennui. » Pour lui échapper, Flaubert va faire de la littérature son Dieu. La Tentation, si elle est un somptueux échec – ses amis Maxime Du Camp et Louis Bouilhet lui ont conseillé de la jeter au feu –, est cependant la magnifique « assomption » de la Littérature, la seule et unique chose « capable de maintenir sous l’eau l’autre Chose de l’Ennui ».
Flaubert rédigera deux autres versions de La Tentation. Il taillera dans la masse jusqu’à faire disparaître le cochon, qui, non incarné, reste cependant bien vivant. « Jamais je ne retrouverai des éperduments de style comme je m’en suis donné [dans la version initiale]. » Quelque chose résiste, La Tentation ne sera jamais un livre raisonnable tant l’ivresse esthétique si violemment recherchée – et qui trouve son parallèle dans les états que connaissent les mystiques en présence de la divinité – en est le moteur. Mais ce « Trois en Un » de La Tentation lui aura permis d’entrevoir parfois la lumière aveuglante de l’œuvre idéale, celle qui ne fait qu’un avec soi, celle qu’il poursuivra toute sa vie en luttant contre l’Ennui, et en se laissant posséder par le daïmôn de la Littérature.

Richard Blin

Le Cochon de Flaubert
Lucrèce Luciani
Serge Safran éditeur, 176 pages, 16,90

Un vice nommé littérature Par Richard Blin
Le Matricule des Anges n°237 , octobre 2022.
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