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Zoom Gadda en abîme

novembre 2022 | Le Matricule des Anges n°238 | par Richard Blin

En rendant hommage à Carlo Emilio Gadda, l’égal si joyeux de Céline, Joyce et Rabelais, Philippe Bordas nous livre la généalogie nocturne de sa vocation d’écrivain.

Le Célibataire absolu

Pour Carlo Emilio Gadda
Editions Gallimard

Voilà un livre comme on aimerait en lire plus souvent, un livre qui échappe à tous les genres parce qu’il participe de chacun d’eux. À la fois biographie, livre de voyage, autobiographie et essai, Le Célibataire absolu est autant un livre en fragments qu’un livre global. Il a pour modèle le Pour un Malherbe de Francis Ponge : même format in-quarto, même tentative de mise en gloire, même amour aveugle. Mais là s’arrête la ressemblance car là où Ponge dresse un monument néo-classique à un poète pré-classique qui a élagué, régulé et castré la profusion naturelle de la langue de Rabelais ou d’Agrippa d’Aubigné, Philippe Bordas nous propose un livre qui a pour vrai sujet la magie de l’écriture, le rêve d’une langue entière imposant sa monarchie sauvage telle qu’elle s’est incarnée dans la vie et l’œuvre – aussi sulfureuse qu’atypique – de Carlo Emilio Gadda (1893-1973), l’héritier naturel de Dante, l’unique digne successeur de Manzoni et Leopardi.
Un livre où Philippe Bordas tente d’éclairer les raisons de sa passion pour Gadda. Aux prémices de celle-ci, un livre, La Connaissance de la douleur, portant, en médaillon sur la couverture, le visage de Gadda, le même exactement que celui de son grand-père corrézien, qui lui a appris à lire et qui le gardait sur ses genoux pendant qu’il remplissait ses grilles de mots croisés. Aussitôt acheté, ce livre allait le laisser « crocheté à la première page – du moins à cette première phrase si longue et tourmentée d’incises, tout en rafales de tirets, en grêles de deux-points emboîtés les uns dans les autres comme des poupées russes ». Nous sommes en 1983, Bordas sortait des classes de lettres supérieures, avait grandi dans le culte de l’anti-verbe, la prose de négation de Blanchot, la disparition de l’auteur. « J’avais été dénutri, abecqué d’auteurs arides et de minimaux », des « lyophilisés tenus en laisse par le goût du néant ». Il n’avait lu ni Céline, ni Claudel, ni Saint-Simon et avait faim de proses sensuelles, d’opulences verbales. Et soudain, il découvrait, médusé, subjugué, l’exact contraire de tout ce qu’il avait dû vénérer. Alors il s’était mis en route vers Gadda, vers ses lieux de vie, vers tous ceux qui l’avaient connu.
D’où Le Célibataire absolu, une odyssée, une plongée dans le temps de Gadda, un « mélange sauvage » d’éclats de sa vie et de copeaux de celle de l’auteur, un récit composite soumis aux aléas des voyages et à la providence des rencontres. Philippe Bordas y revisite les jours et les villes où Gadda l’a remis « en confiance et croyance des pouvoirs du langage », où il a lu Gadda, et mûri en lui, à Paris, au Kenya, à Rome, Milan, Moscou, et sur l’île de Cythère.
Chez Gadda, il découvre, grâce à la prouesse des traducteurs – « les irremplaçables réécriveurs et transsubstantiateurs de l’enchantement » – une langue mouvante, en mutation et déformation perpétuelles, une langue où il y a des langues qui ne cessent de se télescoper, de s’enchevêtrer. Une « surlangue » qui en agrège cent autres, comme dans L’Affreux Pastis de la rue des Merles, une forgerie poétique, un chef-d’œuvre de « succulences vernaculaires relevées du fumet des rhéteurs latins et des ruffians nouveaux ». Ce tressage polyphonique, mariant tous les terroirs et tous les âges, fut pour lui – dont l’oreille avait été bercée au son du patois limousin, et qui avait grandi dans une pauvre Babel « à vingt races et trente langues mêlées et hurlées de matin à soir » – un antidote parfait contre les écritures « morbifiques françaises ». Qui plus est, il voit en Gadda, la figure d’un mal-aimé – fils d’un soyeux ruiné et d’une mère tyrannique qui, après l’avoir attiré vers la poésie, l’avait interdit d’écriture en l’obligeant à devenir ingénieur – qui a su muer le manque et l’adversité en une prose baroque pleine de sève et de sang, et « plus volutée et circonvolue que la Thérèse du Bernin ». Au prix, quand même, d’un célibat absolu, un peu comme si la jubilation libidinale propre à son écriture oblitérait sa jouissance propre.
C’est ainsi que pour Philippe Bordas, qui ignorait s’il était photographe ou écrivain – même après avoir obtenu le prix Nadar pour L’Afrique à poings nus (Le Seuil, 2004) –, Gadda est devenu « le nom de l’absolu littéraire le plus inaccessible et lointain », l’incarnation de la langue rêvée, celui surtout qui, peu à peu, a levé la peur d’affronter « l’instant arbitraire, injustifiable, de l’écriture ». Et a ainsi légitimé le passage à l’acte, le devenir-écrivain dudit Bordas, dont les romans et la langue palpitent de vie et rayonnent de la force de l’initial.

Richard Blin

Le Célibataire absolu
Philippe Bordas
Gallimard, 434 pages, 30

Gadda en abîme Par Richard Blin
Le Matricule des Anges n°238 , novembre 2022.
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