La lettre de diffusion

Votre panier

Le panier est vide.

Nous contacter

Le Matricule des Anges
ZA Loup à Loup 83570 Cotignac
tel ‭04 94 80 99 64‬
lmda@lmda.net

Connectez-vous avec les anges

Vous n'êtes actuellement pas identifié. Pour pouvoir commander un numéro, un abonnement ou bien profiter, en tant qu'abonné, des archives en ligne, vous devez vous connecter avec votre compte.

Retrouver un compte

Vous avez un compte mais vous ne souvenez plus du mot de passe ? Vous êtes abonné-e mais vous vous connectez pour la première fois ? Vous avez déjà créé un compte, peut-être, vous ne savez plus trop ?

Créer un nouveau compte

Vous inscrire sur ce site Identifiants personnels

Indiquez ici votre nom et votre adresse email. Votre identifiant personnel vous parviendra rapidement, par courrier électronique.

Informations personnelles

Pas encore de compte?
Soyez un ange, abonnez-vous!

Vous ne savez pas comment vous connecter?

Essais Atterrante conquête

janvier 2023 | Le Matricule des Anges n°239 | par Jérôme Delclos

Günther Anders nous dessille les yeux sur les vols spatiaux, leur rôle dans la course à l’obsolescence de l’homme et de la terre.

Vue de la Lune

Réflexions sur les vols spatiaux
Editions Héros-Limite

Fidèle à sa « philosophie de l’occasion », qui part des faits empiriques que nous recevons au quotidien dans leur évidence trompeuse, Günther Anders note dès 1962 ses réflexions sur les vols spatiaux. Il en sortira un livre, Vue de la Lune, édité au début de 1970 – quelques mois après Apollo 11 et le fameux « Un petit pas pour l’homme, un grand pas pour l’humanité » et quelques semaines avant, déjà, Apollo 13 puisque la course à la conquête de l’espace est effrénée. Anders nous prévient : « je ne me suis pas limité de manière pédante au seul thème du voyage dans l’espace, mais j’ai plutôt gardé l’horizon aussi ouvert que possible. (…) Les réalisations techniques ont ce monde pour toile de fond, et c’est à sa lumière qu’elles deviennent ce qu’elles sont ; et, inversement, notre monde actuel ainsi que notre existence humaine actuelle sont profondément influencés par les vols spatiaux ». D’où un incessant va-et-vient entre l’actualité de l’exploration spatiale dans ses étapes, ses témoignages, ses anecdotes, et les considérations du philosophe sur « notre monde actuel ainsi que notre existence humaine actuelle ».
Le propos n’est donc pas tant la conquête du cosmos que nous-mêmes et notre temps, et la Lune foulée par l’homme que « L’Obsolescence de la Terre », qui était le titre initial reprenant la thèse de L’Obsolescence de l’homme  : cette inédite et terrible inversion que désormais « l’être humain est devenu la pièce ou le prolongement de l’instrument ». Or, ce renversement « n’est nulle part aussi clairement visible que dans le vol spatial ». Le penseur a finalement préféré intituler son essai Vue de la Lune. Celle qui est vue depuis la Lune, c’est la Terre. L’image est ici saisissante. À la fois elle se réfère au fait lui-même (Armstrong et ses compagnons, depuis la Lune, voyant la Terre s’ils lèvent la tête), mais aussi à la méthode propre d’Anders, celle du pas de côté. Notre séjour peut pour la première fois « se voir, se rencontrer (…) en se reflétant dans un miroir ». Cette mise à distance de la Terre devenue « reflet » forme l’événement majeur et inaperçu de la conquête spatiale, laquelle, par un sortilège comme la technique moderne sait les fabriquer en même temps que nous les dissimuler, aggrave encore la distanciation, qu’elle nous impose, d’avec nous-mêmes et notre monde.
Répétant la grande idée de L’Obsolescence de l’homme, Anders martèle que nous sommes entrés dans l’ère où « L’homme est plus petit que lui-même », ce qui s’éclaire au mieux dans la situation, tout sauf héroïque, des astronautes : « Plus les entreprises sont grandes, plus ceux qui sont intégrés dans ces entreprises et doivent répondre sans faille à leurs exigences doivent être petits, rabougris et asservis ; plus ces défauts sont indispensables, plus ces derniers sont produits de manière systématique ». Ou « Plus l’homme va loin, plus il semble rapetisser ». Qu’il s’agisse du « mal de la Terre » ou de la « honte de l’atterrissage » qu’éprouvent les explorateurs rentrés au bercail, de la façon dont l’Amérique les réifie (John Glenn non pas simplement décoré mais devenu « lui-même une médaille sur la large poitrine des États-Unis »), de leur paradoxale « déception », Anders nous parle d’un désastre déjà advenu, irréversible, et très ironiquement résumé par l’explorateur lunaire « Buzz » Aldrin à qui l’on demande pourquoi les USA envoient encore des hommes dans l’espace plutôt que des appareils : « Parce que nous croyons que les hommes sont encore capables, à certains moments, de faire une bonne partie de ce que les machines peuvent faire ».
L’annexe « A propos de Wernher von Braun », qui relate la « collaboration aux massacres » du savant nazi, son absolution par les vainqueurs et, outre son emploi par la NASA, sa glorification par « l’écolier américain » comme par « les Allemands de 1970 », est désespérante. Aujourd’hui, « le vol Terre-Lune-Terre » est rétrospectivement à lire comme la « répétition générale » de « la catastrophe finale ». Notre illusion serait de croire que le temps de la fin est encore à venir et donc évitable, alors que depuis belle lurette, c’est plutôt qu’il n’en finit pas de seulement commencer.

Jérôme Delclos

Vue de la Lune

Günther Anders
Traduit de l’allemand par Annika Ellenberger,
Perrine Wilhelm et Christophe David
Héros-Limite, 219 pages, 24 e

Atterrante conquête Par Jérôme Delclos
Le Matricule des Anges n°239 , janvier 2023.
LMDA papier n°239
6,90 
LMDA PDF n°239
4,00