Un livre

A l’abri des hommes et des choses

de Stéphanie Boulay

Editions Observatoire

Quelle belle langue imagée ! Stéphanie Boulay, chanteuse et compositrice québécoise, s’est mise à l’écriture. Son premier roman donne la parole à une narratrice un peu neu-neu. Pourtant elle est triste, la vie de cette enfant au seuil de la puberté, qui habite dans la pauvreté avec Titi. La maison n’est pas « propre propre », des souris y gigotent la nuit et parfois « se font prendre par la queue et courent avec le machin qui les suit ». Misère de la tapette à petits rongeurs. Et misère de la gamine et de Titi, sa référente pas vraiment maternelle. Est-elle seulement sa mère, d’ailleurs, cette Titi qui dirige la barque et la baraque, dans cet univers blanc, hivernal, et assez désert ?
Mais c’est raconté avec des mots tellement colorés et décalés. On joue à cache-cache, et puis on se « décache ». Élène, une vraie adulte, celle-ci, « voit dans ton âme et c’est très dénudant ». On lit à la hauteur de cette fille, qui se regarde se transformer. « Mon corps fait des choses que je ne lui dis pas de faire comme grossir à certains endroits, poiler à certains endroits et manger beaucoup. » Elle ne se fait pas de nœuds au cerveau, elle se réfugie dans l’écriture de poèmes tout simples. Et part à la rencontre de l’inconnu, au lieu d’accepter cet enfermement dans la pauvre maison (ou, pire perspective, dans un établissement spécialisé pour les gens comme elle). Elle rencontre un garçon, au bord de la rivière où elle a l’habitude de se baigner seule. Elle veut et ne veut pas, elle lui laisse des petits billets au lieu de lui parler.
C’est un bel hymne à la liberté. Tous les personnages sont plus ou moins cabossés, et « ça prend beaucoup d’effort pour raccommoder quelqu’un qui a été déjà cousu d’une certaine façon. » L’histoire est tissée de fils ténus, fragiles, mais courageux et solidaires. On protège la voisine dont la mère est morte, on cherche, on tient bon. Jusqu’au dénouement, dont nous ne dirons rien, évidemment.

Anne Kiesel

À l’abri des hommes et des choses
Stéphanie Boulay
L’Observatoire, 160 pages, 17 €