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Essais Le limier dans le labyrinthe

avril 2023 | Le Matricule des Anges n°242 | par Christine Plantec

Soixante ans après la mort de Sylvia Plath, Janet Malcolm livre une réflexion passionnante sur ce qui lie un auteur à son sujet.

La Femme silencieuse

Janet Malcolm, journaliste au New Yorker de 1963 à 2021, est coutumière des succès éditoriaux autant que des controverses. Ses livres les plus connus en France sont Un métier impossible : psychanalyste et Le Journaliste et l’assassin, issu d’un fait divers, qui explore la relation complexe entre un homme accusé de meurtres et un reporter qui s’engage à en écrire l’histoire. Ce que fait tout journaliste « est moralement indéfendable » déclare Malcolm, péremptoire. Comme un escroc qui séduit sa proie pour en extraire des informations, il incombe ensuite au journaliste de transposer le témoignage en le passant au triple tamis de l’angle choisi, de sa subjectivité, des impératifs éditoriaux et commerciaux. Pratique « moralement » discutable donc parce qu’écrire c’est nécessairement trahir.
En digne représentante de la narrative non-fiction, Malcolm s’attelle dans La Femme silencieuse à une figure emblématique de la littérature anglo-saxonne : Sylvia Plath. Poète et romancière, mais aussi épouse, mère, femme au foyer, amante, Plath a voulu être tout ou plutôt n’a voulu renoncer à rien. La trop tôt disparue (elle se suicide à 30 ans), dès lors, se meut en icône littéraire et féministe. L’autrice de La Cloche de détresse, roman d’inspiration autobiographique et d’Ariel, recueil poétique posthume, s’y montre innovante, prosaïque et spirituelle, excessive, puissante et fragile, désirante et exsangue. Une œuvre et une vie marquées du sceau de l’ambivalence propre à séduire Malcolm. En exergue de son récit, une citation d’Henry James : « le reporter comme son sujet doivent dûment comprendre qu’ils tiennent leur vie entre leurs mains. (…) Alors le jeu sera équitable, les deux forces étant égales ; ce sera “œil pour œil, dent pour dent” ». Et puisque l’éthos journalistique est moralement indéfendable, pourquoi se priver !
Sauf que le sujet de Malcolm n’est pas Plath mais le genre biographique lui-même que l’essayiste scrute avec obstination. Elle s’appuie sur pas moins de cinq biographies dont chacune se révèle délicieusement révisionniste. S’y observent notamment les pro et les anti Ted Hughes, le poète et mari de Sylvia, selon que l’on conçoit Plath comme « une femme puissante comme un Panzer » ou « comme l’innocence américaine venant se heurter à la corruption européenne ». Pour mener son enquête, Malcolm rencontre chaque biographe, écume archives, lettres, Journaux, visite famille, amies, voisins, connaissance moins pour rétablir la vérité sur Plath que pour en découdre avec toutes les difficultés (éthiques, épistémologiques, narratives) auxquelles le genre biographique confronte. La Femme silencieuse traverse cela et c’est passionnant.
« La situation biographique de Plath est une allégorie du problème de la biographie en général » écrit Malcolm à Hughes en 1989. S’y condense le déroutant constat qu’il est impossible d’échapper aux contraintes du genre. Comment « l’essence anarchique de la vie mentale » consignée dans les lettres, par exemple, peut-elle être une donnée fiable susceptible « de résoudre le mystère d’une vie »  ? Peut-on s’émanciper du mythe Plath et des résonances identificatoires ou pas qu’il opère chez le biographe ? « La poésie de Plath aurait-elle suscité une telle attention du public si elle ne s’était pas tuée » un soir de février 1963 la tête dans un four à gaz ? Comment se prémunir de l’énergie que confère le dépeçage d’une œuvre et d’une vie tout en maintenant intact le désir ? « L’écrivain, à l’instar du meurtrier, a besoin d’un mobile ». « L’équanimité, la mesure, le détachement ne sont que des poses, des ruses rhétoriques ; s’il en allait ainsi, l’écrivain ne trouverait pas en soi l’énergie de s’y mettre ».
Malcolm songe à L’Aleph, petite sphère lumineuse nichée au fond d’une cave de la nouvelle éponyme de Borges qui permet de tout voir, sous tous les angles, dans tous les temps. Fantasme d’omniscience, Malcolm voudrait Tout voir. Pourtant, c’est depuis l’obstacle de tout ce qu’elle ignore et de tout ce qui l’encombre qu’elle avance dans le labyrinthe. Alors que dans la fiction « les faits sont aussi durs que le caillou », « dans une œuvre de non-fiction, il n’est presque jamais possible d’avoir accès à la vérité des évènements ».
La mécanique d’écriture de Malcolm est un bonheur d’honnêteté, d’intelligence et d’humilité car bien qu’exhibant les rouages de l’entreprise biographique, elle parvient à maintenir intact l’intérêt du lecteur. On descend nous aussi à la cave et c’est proprement savoureux.

Christine Plantec

La Femme silencieuse
Janet Malcolm
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Jakuta Alikavazovic
Éditions du sous-sol, 238 pages, 22

Le limier dans le labyrinthe Par Christine Plantec
Le Matricule des Anges n°242 , avril 2023.
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