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Histoire littéraire Quelque chose d’elle

avril 2023 | Le Matricule des Anges n°242 | par Jérôme Delclos

Un court mais dense inédit de Julien Gracq, cristallisation magistrale de ses grands thèmes.

La Maison, selon ses éditeurs, a dû être écrit « entre 1946 et 1950 », soit après la parution d’Un beau ténébreux et avant celle du Rivage des Syrtes. Foin des génuflexions devant le reliquaire, les « deux états successifs du manuscrit » ajoutés à l’imprimé ne lui apportent rien. Au mieux, en regard du brouillon mal lisible, a fortiori dans un format semi-poche, sa mise au propre ou « second état » illustre ce que Gracq confiait dans ses Entretiens. « Ce qui est agréable, c’est de recopier, de mettre au net, quand le livre est fini (j’écris toujours à la main). » À la rigueur, à mettre sous la loupe ses pattes et chiures de mouche, on se souvient que l’écrivain parlait de sa « fausse cuisine, farcie d’ajouts et de ratures parfois trompeuses en ce que j’ai tendance, disait-il, après avoir écrit un mot, à le rayer aussitôt pour bien souvent le rétablir, comme si j’avais besoin de beaucoup de noirs sur ma page ». De cette « manière noire », il en sort ici 28 pages, minuscule verrine. Par parenthèse au prix tout de même de Lettrines 2, faut-il être snob ou gracqolâtre.
Mais à mâcher lentement ce « Gracq inédit », la lectrice, le lecteur, éprouvera comme disent les chocolatiers une explosion de saveurs sur les papilles : c’est un précipité. D’emblée et jusqu’à la dernière ligne, on se trouve en terrain connu : la matière pauvre, exemplairement gracquienne, d’une route, d’un espace (ici quelque part entre « V… » et « A… »), d’un temps – « celui de l’occupation allemande » –, d’une attente et de ce qu’elle révèle et qu’elle ouvre, d’une forêt à traverser, d’un mystérieux édifice qui suscite malaise et attraction, d’une femme inconnue et déjà d’avance désirée, etc. Théâtre familier mais qui toujours fascine. C’est d’abord « une étendue miséreuse et maladive, une terre gâte » contemplée « de semaine en semaine », « à travers la vitre embuée » d’un « autocar fourbu ». Incidemment entraperçue, devenue obsédante, « une de ces villas de prétentieuse et médiocre apparence » avec sur sa façade morne le « trou noir d’une fenêtre ouverte ». « Je la revois encore sous le ciel voilé et immobile du jour d’octobre où me vint, je crois bien, l’idée que j’aurais un jour à la visiter de plus près ». L’occasion d’une panne conduit le narrateur à s’enfoncer, sous la pluie, dans des bois noirs où il cherche cette maison « pour un simple coup d’œil ». Il ne la trouve pas, se perd, entend non sans inquiétude claquer des coups de feu qui le ramènent à son passé. « Le souvenir me revenait – un désagréable souvenir du temps alors tout proche de la guerre – d’une première prise de contact.  » Puis c’est la pluie qui cesse, « (…) et tout à coup, faisant vibrer la lumière décapée par l’averse, un oiseau chanta sur deux notes transparentes et calmes de la voix même de l’éclaircie ».
Après quoi c’est soudain la maison, qui de loin pouvait paraître inhabitée mais où se remarque à un « balcon étroit (…) un de ces stores à mille raies d’arc-en-ciel qui pavoisent comme un quatorze juillet le front de mer des plages à la mode ». Les coups d’œil du voyeur à de « hautes herbes mouillées (…) foulées et couchées comme si deux corps se fussent étendus là et roulés à même le sol  », et à « une table de jardin toute servie avec sa nappe, son couvert dressé pour deux personnes en vis-à-vis », le confortent dans le pressentiment suggéré par ces signes, lui alors silencieux et à l’affût d’« une présence immédiate et toute proche » qui pourtant ne vient pas sur cette décevante « scène vide ». Mais la grâce – ou le Graal – n’a une chance de survenir que si l’on y a renoncé. « J’avais à peine fait deux pas hors de ma cachette que je m’immobilisai, le pied suspendu. Une voix s’élevait de la maison en ruine : la voix d’une femme qui chantait. »
Le texte nous montre ensuite le guetteur absorbé par la voix « disant que c’était une voix nue », voix fiévreusement désirée comme « celle d’une femme dévêtue, très exactement, d’une femme désœuvrée, l’esprit encore à peine en rumeur, qui vaque sans hâte à sa toilette ». Avec lui ou par-dessus son épaule on attend, on espère, le regard braqué sur le balcon au store, que cette première épiphanie soit l’annonciatrice de « quelque chose d’elle » de plus charnel encore : « elle allait venir, elle allait être là ».
Au fait : 28 grammes c’est l’once, unité de mesure du caviar.

Jérôme Delclos

La Maison
Julien Gracq
Corti, 76 pages, 15

Quelque chose d’elle Par Jérôme Delclos
Le Matricule des Anges n°242 , avril 2023.
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