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En grande surface Raison de la critique

avril 2023 | Le Matricule des Anges n°242 | par Pierre Mondot

Tiphaine Samoyault, feuilletoniste du Monde des livres, consacre sa tribune à Michel Bussi. Il fallait s’y attendre : avec l’allongement de la durée légale du travail, chacun désormais s’économise. Un voyage, écrit-elle, « dans un monde enchanté où un roman fait vendre beaucoup de livres. » C’est Balladur dans le métro. Ou Macron à Rungis (Bonjour, comment ça va ?). Elle en revient enthousiaste : « On ne s’ennuie pas », « rythme haletant », « très divertissant ». Autant d’énoncés qui ne manqueront pas d’être prélevés pour fleurir les prochains encarts publicitaires du bonhomme. Bussi, dont les tirages avaient de quoi remplir déjà plusieurs mégabassines, méritait bien pareil coup de pouce.

Nous voilà donc sommés d’interrompre la lecture de Sans compter, le dernier Philippe Djian – magistral – pour nous livrer ex abrupto à une séance de fact-checking. Quand tout ce qu’on voudrait, enfin si tu le permets, c’est bouquiner en paix.

Un cadavre est découvert au pied du belvédère des Quatre fils Aymon, à Bogny-sur-Meuse, dans les Ardennes. Des « décors grandioses » selon la journaliste, qui ne loupe aucun numéro de Des racines et des ailes. De son côté, l’auteur de 37°2 le matin ne s’embarrasse ni avec le carton-pâte, ni avec les noms propres et situe toujours ses fictions à l’intérieur du même hétérotope, le Djianistan, province intermédiaire entre Pays basque et États-Unis. Une maison, un cabanon, un parc, un lac suffisent à édifier l’arrière-plan. Mais remontons dans le Bussi. La capitaine Katel Marelle, gendarmette usée, prie pour qu’il s’agisse d’un suicide (les gens ne veulent plus travailler). Manque de bol, le macchabée possède trois permis de conduire aux photos identiques, et en plus son stationnement le trahit : « (…) un type anonyme qui veut en finir ne planque pas son corbillard sous les branches les plus touffues d’un chêne pédonculé. » (bon à savoir). L’un des permis nous mène à Éléa, une autiste Asperger et HPI qui dialogue avec son cerveau (Samoyault : « Les personnages féminins sont suffisamment typés pour qu’on ne les confonde pas et qu’on puisse choisir auquel s’identifier. ») La jeune femme a reçu un message du disparu sur sa montre numérique : « Cinq voyelles au pluriel forment le mot qui te guidera vers moi. » La solution est « Oiseau ». Les cruciverbistes apprécieront. La suite est à l’image de cette improbable énigme. La structure du récit rappelle ces labyrinthes pour enfants, au travers desquels il faut tracer un chemin afin de conduire la petite souris à son morceau de fromage. Un écart et c’est la fin. Aucune gratuité possible, le plus léger courant d’air menacerait d’effondrer le château de cartes. Tout le contraire de Djian, lequel, fidèle à l’injonction du titre, écrit sans compter. Et sans non plus raconter : Nathan, le narrateur, estime que le roman « serait plutôt de la merde en barre » et tourne délibérément le dos au lecteur dès les premières pages. Sa prose multiplie les signes d’une apparente désinvolture : comparaisons bancales (« tel un serpent levé du pied gauche »), inversions balourdes (« ripostè-je », « ricanè-je », « brocardè-je ») et absence de mise en forme des dialogues. Un scénario de Bussi au cœur duquel on aurait jeté une grenade de désencerclement. Quand l’un sème des cailloux, l’autre égrène des haïkus : « Cette nuit la lune brille, le décor semble taillé dans un bloc d’obsidienne aux arêtes vives. » Tout s’y trouve déconstruit, à commencer par son protagoniste, déficient à tous les niveaux à la suite d’une vasectomie ratée. Nathan mène des enquêtes qui n’aboutissent pas, accompagné de son chien, un coton de Tuléar (une « race que Dieu n’a pas comblée, honnêtement ») tandis qu’une créature chimérique, probable incarnation de sa mauvaise conscience, plane au-dessus de sa tête. À la fin, il l’apprivoise avec des knackis.
Tiphaine Samoyaut termine son papier en ouvrant son compte-rendu vers une question plus générale, selon la méthode enseignée en classe d’hypokhâgne. Mais pourquoi diable un tel déséquilibre entre le septième art et la littérature ? « Si je vais voir un soir un film de Béla Tarr et le lendemain Avatar 2 ou un bon polar sur Netflix, je serai toujours considérée comme une amatrice de cinéma (…), si je lis un soir Samuel Beckett et, le lendemain, Michel Bussi, on poussera des hauts cris » – comme s’il n’y avait rien sur l’étagère, entre ces deux-là. La fausse intrigue du roman de Djian pourrait fournir une réponse allégorique à cette épineuse interrogation : Gaby, poétesse et belle-mère de Nathan, refuse de vendre des terrains au sénateur Richard Bruvenigne qui souhaite y construire un parc d’attractions. Traduction : la littérature ne doit pas se transformer en un gigantesque champ de foire sous la pression du grand capital. Chacun sa mission : divertir pour l’image, subvertir pour l’écrit. Et la lutte continue.

Raison de la critique Par Pierre Mondot
Le Matricule des Anges n°242 , avril 2023.
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