Voici, une fois encore, une autre Goliarda Sapienza. Dans ce recueil de plusieurs dizaines de (très) courts textes – de quelques lignes à quelques pages – sans doute écrits à la fin des années 1950, elle nous confronte à des fragments d’existences décalées, plus ou moins radicalement bouleversées. L’humour – noir – s’y mêle à l’angoisse – diffuse. Destins piégés paraît au Tripode le 15 octobre.

J’ai très peur de mourir. Depuis toujours. Ma mère disait que, petite déjà, je voulais dormir avec la lumière allumée de peur que la mort ne vienne me prendre dans le noir. Maintenant encore je dors avec la lumière allumée, mais j’ai peur quand même. Quand je m’éveille, je crains de n’être pas moi, et je me vois immobile et hébétée, comme Carmela quand elle a eu cette attaque. C’est pour ça que j’essaie de dormir le moins possible. Même là, j’ai très sommeil, mes yeux se ferment, mais je ne dormirai pas. Je suis sûre que si je dors maintenant je ne me réveillerai plus, et j’aime tellement regarder dehors le matin. Je ne dormirai pas. Je peux aller sur le balcon et attendre l’aube. Heureusement que la fenêtre est grande et la lumière électrique de ma chambre très forte… dehors il fait si noir que, à part les feux de circulation, on ne distingue rien, tout n’est qu’un ciel obscur. Je n’ai jamais vu une nuit aussi sombre. Mais peut-être est-ce du brouillard… pourtant ce n’est pas l’hiver. Je ne dormirai pas. Je veux rester ici assise sur le parapet et regarder la lumière à l’intérieur de la chambre, on dirait que c’est le jour. Un magnifique jour ensoleillé. Je ne m’étendrai pas sur le lit. Je préfère me laisser aller en arrière, comme ça. On glisse si bien avec toute cette lumière dans les yeux, et puis ça va vite : quatre étages en quelques secondes. Comme ça je ne dormirai pas et personne ne m’éveillera : quand elle viendra elle me trouvera toute raide, et ce ne sera pas elle qui m’aura surprise dans le sommeil.

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J’ai vingt-deux ans, et depuis un an je vis avec un garçon de deux ans plus âgé que moi. D’abord tout allait bien, mais depuis quelques mois ce garçon me prend les cheveux et joue avec, me prend les mains et joue avec… et pareil avec ma poitrine et le reste. Oui, il joue seulement avec, comme font les enfants. Je ne sais pas si vous avez l’habitude des enfants, moi oui, j’ai eu trois frères et je les ai plusieurs fois surpris, tous les trois, à jouer avec leur membre. Pas à se masturber, comme on dit, mais à jouer. Une fois je suis entrée dans la salle de bains et j’ai trouvé Guido et Marco qui, le sexe à la main, faisaient de l’escrime, et je vous assure qu’ils le maniaient vraiment comme si c’était une épée. Et donc lui, mon copain, joue avec moi, et je crains que ce ne soit ma faute ou celle de mon désir. Je vous explique : mon désir était de devenir lui, d’entrer en lui, pensées, corps, tout. Et je ne faisais que le lui dire, je ne faisais que le lui dire. Au début il restait un peu surpris, parfois il...