Marielle Macé, la grande ouverture
Ses premiers essais, issus de la recherche, tenaient la littérature pour objet. Mais au fur et à mesure qu’elle accueillait la phrase littéraire dans son écriture, Marielle Macé a fait de la littérature le lieu même d’une pensée libératoire. Libératoire car il s’agit à la fois de lutter contre des représentations figées et polluées du monde et créer les conditions nécessaires à l’émergence de formes de vies plus vivables, plus désirables, plus épanouies. Ses livres sont comme des carrefours entre la poésie, les sciences humaines, la politique dans ce qu’elle a de généreux, les êtres vivants et la mémoire des mots. On y circule librement, aiguisant d’abord une saine colère qu’on troquera, finalement, pour quelque chose de lumineux, aux berges de l’espoir et de la volonté, enfin, de changer le monde.
Marielle Macé, Respire semble constituer le troisième volet d’un triptyque entamé avec Sidérer, considérer et poursuivi par Nos cabanes. Ce triptyque entrant dans un projet plus vaste entamé peut-être avec Façons de lire, manières d’être et qui tenterait de voir « comment vivre autrement ». Les trois livres parus chez Verdier appartiennent-ils comme Façons de lire, manières d’être au genre « essai » tel que vous l’avez théorisé (Le Temps de l’essai, histoire d’un genre en France au XXe siècle, Belin) ?
C’est très juste. Respire est le troisième volet d’une petite « trilogie des vivants », trois livres brefs, des sortes de projectiles poétiques et politiques qui partent d’une situation contemporaine de crise, de précarisation, de toxicité, pour ouvrir des brèches, donner du courage, honorer des luttes, dire ce qu’il nous faut aujourd’hui protéger pour préserver notre amour de la vie…
Ces livres d’intervention sont en quelque sorte la mise en pratique de toute ma recherche (déposée, elle, dans des livres bien plus longs, qui tentent de faire le tour de questions vives des sciences humaines), qui propose une réflexion sur les « formes de vie », et s’appuie sur la culture littéraire pour aller vers la critique sociale et le souci environnemental, afin de comprendre ce que c’est qu’habiter une forme de vie, critiquer celles qui nous sont faites, en réclamer d’autres…
Et ils relèvent en effet du genre de l’essai, qui a été mon premier objet de recherche : j’ai fait ma thèse sur l’histoire de l’essai au XXe siècle, parce que je voulais comprendre la participation de la littérature à la vie de la pensée, à la définition d’un espace commun, à la mise en débat du réel. Il y a beaucoup de façons de parler de l’essai (en bien ou en mal), mais pour moi c’est surtout le lieu de l’effort pour « qualifier » le réel : dire comment c’est, et donc aussi comment ça pourrait être. Observer les lieux ou les gestes où la réalité est déjà un peu autre qu’elle-même, où elle vibre de promesses – par exemple, en ces temps irrespirables, observer les zones de respiration, de partage, de lutte, les faire connaître, les accompagner… Cela...