Dominique Fabre, les vies à quai
On ne comprend pas. Comment l’auteur de Ma vie d’Edgar, de Les Types comme moi ou J’aimerais revoir Callaghan n’a-t-il pas encore l’audience qu’une telle œuvre mériterait ? Est-ce parce que comme un Emmanuel Bove avant lui, Dominique Fabre écrit à rebours de son temps. Qu’il s’intéresse aux Chinois du XIIIe arrondissement, aux Africains des derniers trains de banlieue plutôt qu’aux héros modernes de la finance ? Qu’il fait d’Asnières et de Bécon le centre du monde et qu’il ignore tout de Dubaï ? Ou est-ce parce que les phrases qu’il aligne depuis plus de trente ans semblent tissées des fils si banals du quotidien ? Pourtant, depuis 1995, les éditeurs n’ont eu de cesse de publier cette voix-là, si peu médiatique, si peu spectaculaire. Pourtant, depuis Moi aussi un jour j’irai loin, l’écrivain s’est construit une petite famille de lecteurs, héritiers d’une certaine façon de ceux qui lisaient Calet, Bove, ou frangins et frangines de ceux qui lisent Autin-Grenier. La sortie de Gare Saint-Lazare à cette rentrée semble changer un peu la donne. Les journaux ont vite repéré le livre, les jurés littéraires s’y intéressent. De s’être débarrassé de l’arsenal romanesque a peut-être permis de déciller certains lecteurs : la matière même de l’écriture est ainsi donnée à voir. La nostalgie, la mélancolie et ce désir immense d’être aimé. Une histoire universelle. Portée par une voix singulière et vraie.
Dominique Fabre, Gare Saint-Lazare ancre son récit autour de la gare parisienne. Mon quartier (en 2002) était déjà une déambulation située géographiquement, comme La Serveuse était nouvelle tourne pour beaucoup autour de la gare d’Asnières. Dans la plupart de vos livres, le récit s’enroule autour d’une géographie précise. Avez-vous besoin de donner une source géographique à votre écriture ?
Oui, c’est ça. J’ai besoin d’ancrer dans un paysage familier les histoires que je raconte. J’ai toujours eu en tête la phrase du poème de Stéphane Mallarmé « Rien n’aura eu lieu/ que le lieu » depuis l’adolescence. J’ai adoré ce poème et il me parle encore aujourd’hui. Et puis Asnières est un lieu qui n’en est pas tout à fait un, avec un côté bourgeois, un côté populaire, une gare, deux si on rajoute celle de Bécon, des magasins, des squares, des vies qui s’y passent. C’est la banlieue d’où je viens, ce n’est pas nulle part mais ce pourrait être beaucoup d’autres endroits de banlieue, et finalement beaucoup d’autres vies. La mémoire que j’ai de ces lieux est indissociable de ce que j’y ai vécu, et des personnages de mon livre. Ils sont uns et pourtant je crois qu’ils existent collectivement à des milliers d’exemplaires, si on peut le dire comme ça. Je vois la gare Saint-Lazare comme un concentré de l’humanité que nous fréquentons chaque jour. J’aime bien l’idée de faire tenir le monde dans une coquille de noix, sauf que la gare Saint-Lazare est vraiment une grande coquille.
Vos lecteurs le savent : vos romans arpentent beaucoup de lieux qui...