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Domaine étranger À pères perdus

octobre 2023 | Le Matricule des Anges n°247 | par Dominique Aussenac

Atticus Lish poursuit ses chroniques d’États-Unis gangrenés par la déchéance, la pauvreté et les Ténèbres. Éblouissant de noirceur et de talent.

Le Monde de la berge fleurie

La violence faite aux corps et aux âmes, se révèle-t-elle plus prégnante en images qu’en mots, sur écran qu’en littérature ? Très cinématographique, Le Monde de la berge fleurie, roman de plus de six cents pages, à la construction assez complexe en miroirs inversés où se reflètent trois triangulations familiales, n’offre paradoxalement ni visions dantesques, ni exhibitions gratuites ou complaisantes, la violence y est latente, corrosive, maligne. À moins qu’il ne s’agisse d’un mal sociétal, endémique ou l’immense liberté d’être pauvre aux States (sic) ?
« On n’y pense jamais, aux nerfs, ou au fait de respirer. On trouve ça normal, la respiration. On trouve ça normal, les nerfs sous la peau ou sous la peau d’un autre animal. » Une terrible et brutale maladie va démantibuler le corps de Gloria, la mère de Corey Goltz, adolescent de 15 ans qui a toujours vécu seul avec elle une existence précaire. Quand Gloria apprend qu’elle est atteinte de la maladie de Charcot, le monde s’effondre. L’adolescent assiste à la dégénérescence en la protégeant, assurant leur subsistance par de petits boulots dans un pays impitoyable pour les malchanceux, malades, laissés-pour-compte. Premier miroir inversé à cette descente aux enfers (la maladie de Charcot altère progressivement les fonctions vitales en détruisant les neurones moteurs), l’adolescent va dépasser les limites de son propre corps en pratiquant les arts martiaux à outrance. Mens sana in corpore sano, selon Juvénal. Mais les esprits ne s’avèrent pas toujours sains. L’intelligence, si elle environne le couple mère-enfant – l’auteur place l’action dans un immense campus –, peut cacher bien des tares. Gloria a abandonné la fac en dernière année, à la naissance de son fils. Le géniteur, lui, a toujours été absent. C’est un pervers narcissique, toxique et mythomane. Il se dit scientifique ou flic, n’est en fait que vigile sur l’université. Quant au meilleur ami de Corey, Adrian, étudiant brillant, à l’aise financièrement, il sculpte son corps par la gonflette ; deuxième triangle miroir, il vit aussi seul avec sa mère cancéreuse, qu’il hait et se réfugie derrière des idées aussi doctes que fumeuses, pratiquant un intense onanisme. Le père de Corey va se rapprocher de lui, le manipuler et fomenter un crime qui impactera son propre fils.
« - Ton père est mon héros.

 Tous les mecs disent ça. Et j’ai trop envie de répondre : “ Ça se voit que vous ne vivez pas dans son ombre.” »
Cette figure du père, absent, mauvais, bienveillant ou vengeur, occupe une place centrale, très contrastée. Celui de la victime, une jeune fille dont Corey est amoureux, fera figure de papa de substitution. Ancien délinquant, il l’aide matériellement et l’apaise. Ces trois triangles familiaux interchangeables entrent en vibration, tournoient à l’instar des étoiles de mort des films de kung-fu, forment des nœuds narratifs et délétères. À noter qu’Atticus Lish, né en 1972, a pour paternel le célèbre éditeur amputeur allègre des nouvelles de Raymond Carver. Le fiston a lui aussi erré, en rupture de scolarité (Harvard), de classe sociale, travaillé en usine, pratiqué maints petits boulots, intensément les arts martiaux, s’est engagé chez les Marines avant de se consacrer à l’écriture. Existence identique à celle de son héros, Corey ? Les États-Unis qu’il donne à voir, loin de la rutilance passée, révèlent une noirceur terrible, un pays gangrené par un individualisme ou égoïsme transcutané, des idées libertariennes, quand elles ne sont pas complotistes, une violence et des exclusions légitimées par les armuriers, les banques et la Constitution. Son premier ouvrage, Parmi les loups et les bandits (Buchet Chastel, 2016), enfonçait déjà le clou, dépeignant les vicissitudes d’un couple de déracinés, de sans-grade dans un New York miséreux.
Le Monde de la berge fleurie, titre français plus énigmatico-poético-ironique que celui original de The War for Gloria, constitue à la fois un roman initiatique, une chronique sociale et une enquête policière. Cru, sans pathos, ni véhémence, Il est parcouru de souffles profonds. Celui de la puissance d’une écriture vive, ponctuée de dialogues incisifs, désarmants, d’une lucidité féroce, irradiante, ayant dépassé désenchantement et abattement, des halètements de fin de vie de Gloria, des tâcherons s’acharnant à des jobs miteux et harassants, des corps qui se font violence sur des tapis ou dans la rue… Atticus Lish nous embarque dans une circumnavigation incessante sur le continent de la mouise. Progressant d’un lieu, d’un individu à une impasse, jusqu’au drame, il réussit à asseoir une beauté atypique, fruste et étincelante, sur ses genoux.

Dominique Aussenac

Le Monde de la berge fleurie
Atticus Lish
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Céline Leroy
Bourgois, 630 pages, 25

À pères perdus Par Dominique Aussenac
Le Matricule des Anges n°247 , octobre 2023.
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