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Domaine étranger « Une fille ne peut pas devenir poète »

novembre 2023 | Le Matricule des Anges n°248 | par Feya Dervitsiotis

Parution du premier tome des mémoires poétiques de la danoise Tove Ditlevsen dans lequel l’œuvre à venir et l’enfance se reflètent l’une l’autre.

Enfance. Trilogie de Copenhague, 1

Tove Ditlevsen s’émouvait de toutes choses à condition de les percevoir par « des voies détournées ». Les faits, « rigides et fixes comme les réverbères dans la rue », ne l’intéressaient pas et on les chercherait en vain dans son autobiographie, exempte de dates et de bornes. Malgré la misère de son milieu d’origine, malgré ses relations tumultueuses avec quatre maris et trois enfants, malgré ses addictions, Tove Ditlevsen aura écrit une trentaine de livres, de la poésie aux livres pour enfants en passant par les romans. Une poignée d’années avant son suicide en 1976 à 58 ans, l’écrivaine célébrée en son pays publiait trois minces volumes qui confondaient l’histoire de sa vie avec celle de son écriture, et faisaient de son autobiographie la biographie de sa littérature : naissance, grandes heures et drames, avec pour toile de fond une capitale européenne du XXe siècle.
Très peu publiée en France, Tove Ditlevsen bénéficie depuis quelques années de l’aura de l’écrivaine « redécouverte ». En français, nous n’avions que deux livres d’elle, parus dans les années 1990 aux éditions Stock, dont ce premier tome de la « Trilogie de Copenhague », alors sous le titre Printemps précoce et que nous relisons aujourd’hui dans une nouvelle traduction.
On y est troublé par un ton sans âge : la vivacité d’une enfant, l’humour mordant d’une adulte et la franchise d’une âme tourmentée participent de la représentation d’un passé revécu. Dans Enfance, les images se chevauchent, chaque phrase est destinée à montrer les visions fondatrices des premières années, telle « l’étroite frontière entre nuit et jour où tous les gens se déplacent avec calme et sans hâte comme s’ils marchaient au fond de la mer émeraude. » Procédant à l’archéologie de sa propre écriture, Tove Ditlevsen retrace tout un répertoire de sensations, de situations, de figures – les clameurs des voisins, les moindres gestes de sa mère, les odeurs de l’angoisse, de la honte – soit cette « bibliothèque de l’esprit où je puiserai expérience et connaissance tout le reste de ma vie. » L’œuvre à venir et l’enfance passée se rejoignent en une suite de scènes juxtaposées, réverbérations sous une cloche de verre.
Deux intériorités se superposent dans Enfance. D’abord celle de son univers familial, de ce foyer ouvrier dans lequel elle a grandi, en proie au rachitisme et à la diphtérie, entre un père souvent au chômage et une mère illettrée qui voulait à tout prix la marier. Ce décor premier, aux proportions réduites, est fait de vérités générales et semble aussi immuable que celui d’un livre d’illustrations : « Les chômeurs ont froid, mais ils se tiennent droit, les mains enfoncées dans les poches et une pipe éteinte entre les dents. » Dans les replis de cet environnement figé se façonne en secret cette seconde intériorité qu’est son âme d’écrivain. Comme s’il continuait de l’éblouir, Tove Ditlevsen entreprend maintes fois de décrire le phénomène qui eut alors lieu en elle : « au plus profond de moi, de longs mots étranges rampaient lentement autour de mon esprit en tissant une sorte de membrane protectrice.  » Ces mots, « beaux », « mélancoliques », l’éloignaient des siens en l’attirant à eux.
Mais comment faire pour cacher ses textes quand parents et enfants dorment dans la même pièce ? Cette difficulté même fait de son enfance une condition impossible, brutale, qui « ne s’arrête que quand elle vous a complètement déchiqueté », et dont l’énergie déployée pour en sortir s’apparente à l’acte même d’écrire. Cette enfance à la fois ennemie et alliée de l’écriture prend les atours d’un objet (« un tapis usé et mité ») ou d’une enveloppe corporelle à l’odeur « persistante », et se fait surtout champ de bataille avec le réel. Les vers, les livres, seraient venus soigner son « esprit de plus en plus écorché vif » et contrecarrer les déterminismes. Si l’autobiographie de Tove Ditlevsen peut se lire comme un démenti à la sentence paternelle (« Une fille ne peut pas devenir poète »), son écriture dans sa simplicité tendre et ses mouvements brusques montre sa fidélité envers son origine, la rue, véritable contre-allée de son œuvre.

Feya Dervitsiotis

Enfance. La Trilogie de Copenhague, 1
Tove Ditlevsen
Traduit du danois par Christine Berlioz et Laila Flink Thullesen
Globe, 158 pages, 18

« Une fille ne peut pas devenir poète » Par Feya Dervitsiotis
Le Matricule des Anges n°248 , novembre 2023.
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