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Domaine français Le stylo et son double

mars 2024 | Le Matricule des Anges n°251 | par Guillaume Contré

Un livre étonnant explore les labyrinthes où s’égarent ceux qui s’emparent d’un crayon pour écrire.

L’objet est intrigant. Deux textes, présentés tête-bêche, forment un livre à double entrée que l’on commencera au choix dans un sens ou l’autre. Mais rien, dans cet exercice de duplication, n’indique l’ordre adéquat : il y a deux couvertures, deux titres, deux codes-barres, deux pages de garde, deux textes de présentation sur les deux rabats. Mais il n’y a pas, c’est original, de nom d’auteur. On ne le trouvera ni sur les deux couvertures, ni sur les deux rabats, pas même sur les deux pages de copyright, coincé entre le numéro ISBN et l’achevé d’imprimer. En revanche, on trouve (deux fois, d’un côté et de l’autre), une bibliographie exhaustive de notre auteur anonyme. Cela constitue naturellement un indice probant sur son identité.
Certes, puisque nous sommes en terrain mouvant, cette bibliographie pourrait être fausse, pour mieux noyer le poisson et empêcher quiconque d’accéder à la vérité – si tant est qu’en littérature ce mot ait un sens – celle du nom de l’auteur. Or, contre toute attente, la bibliographie est vraie et le rédacteur peut donc affirmer sans prendre de gants ni craindre l’erreur que l’auteur anonyme de ce livre ne l’est pas puisqu’il s’appelle Philippe Annocque.
Cet effacement du nom – de la « marque autoriale » pour emprunter au jargon universitaire – n’est pas un caprice. Si cela avait été le cas, les éditions Do (qui n’en sont pourtant pas à leur première excentricité) auraient sans doute mis le holà ; les livres sont déjà difficiles à vendre, n’en rajoutons pas.
L’auteur, effacé d’un coup de gomme (et non pas mort comme le voulait Barthes), revient multiplié par la fenêtre dans ce double projet. D’un côté, dans Avec mon stylo, la folie ronge un narrateur à qui l’on a offert l’ustensile en question. De l’autre, dans Sans son stylo, le travail et la personnalité de l’écrivain se fragmentent, recomposent et décomposent à force d’allers, de retours et de bifurcations. Le nom de l’auteur disparaît et pourtant l’écriture reste, avec ou sans stylo.
C’est donc un stylo (ou deux, tête-bêche) qui remplace ici l’auteur. On ne saurait faire métaphore plus littérale de l’écriture. Ce n’est pourtant pas le moindre talent d’Annocque que de savoir tirer le meilleur parti d’un art de la sophistication se faisant passer pour ingénu. Il s’agit toujours, en littérature, d’inventer la poudre, et jouer les idiots est un excellent moyen d’y parvenir. Ainsi, le narrateur d’Avec mon stylo est-il un idiot quelque peu inquiétant dont le profil ne sera pas sans rappeler l’excellent Pas Liev (Quidam, 2015) du même Annocque.
Notre idiot resplendissant se voit offert pour son anniversaire un stylo et cette possession nouvelle lui apparaît comme le sésame qui le dédouanera de toute responsabilité. Maintenant qu’il a son stylo, il peut tout se permettre et envoie donc tout balader, à ses risques et périls. Mais la folie à cet avantage que les conséquences des actes perdent leur tranchant et se fondent dans une perception biaisée du réel. La folie douce (qui a tendance à durcir peu à peu) est une expérience forcément tragique de la solitude. On peut dès lors décider sans la consulter que la voisine est notre femme, que le travail est inutile ou que l’on peut répondre au téléphone sans décrocher. Car la possession du stylo-talisman change tout et tout le reste, tout ce qui n’est pas le stylo ou son possesseur, n’est rien. « La réalité que vous croyez vivre, vous la vivez sans mon stylo », fanfaronne le narrateur, preuve s’il en est que le monde sans son stylo, celui de ceux qui ne possèdent pas son stylo, n’est que roupie de sansonnet et qu’on peut le balayer d’un revers de main (voire d’un trait de plume). Mais, nous le disions, c’est au prix d’une solitude extrême. Notre héros confesse d’ailleurs, à son corps défendant sans doute, que « seule ma voix résonne dans le désert ». Et quel écrivain, forcément un peu toqué, n’aura pas ressenti la même chose ?
On retourne maintenant le livre (mais on aurait pu commencer dans l’autre sens et les effets du choc des deux textes eussent été différents) pour passer à un exercice autofictionnel sur l’écriture. Un écrivain qui pourrait être Philippe Annocque mais ne l’est pas puisqu’il n’est pas nommé entreprend d’écrire sur la disparition – ou l’apparition – d’un château d’eau à sa fenêtre. À moins qu’il n’écrive sur la disparition du stylo que lui a peut-être offert sa femme pour son anniversaire. Mais écrire, du moins une fiction, c’est choisir. Il ne suffit pas de noircir des pages avec un stylo (fût-il offert). Il s’agit de ne pas se perdre dans les possibles, ou alors de les multiplier délibérément, de se saisir de chaque embranchement fictionnel, armé de son stylo (qui est aussi, dans ce système métaphorique transparent, son style). De tout cela finit par ressortir « une silhouette qui se multiplie à chaque mouvement qu’elle fait » et « laisse dans l’espace une trace derrière elle, sans cesse renouvelée ».
« Celui qui écrit » et « celui qui est écrit » sont les deux faces d’une même médaille, on n’aura qu’à retourner ce livre d’un côté et de l’autre pour s’en convaincre.

Guillaume Contré

Avec mon stylo / Sans son stylo
Philippe Annocque
Do, 160 pages, 17

Le stylo et son double Par Guillaume Contré
Le Matricule des Anges n°251 , mars 2024.
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