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Domaine étranger Karen Blixen, en blanc sans noir

mai 2024 | Le Matricule des Anges n°253 | par Catherine Simon

La vie africaine au Kenya – un flambloyant échec – de l’écrivaine danoise (1885-1962), racontée par son biographe.

La Lionne

Karen Blixen en Afrique
Editions Gaïa

Karen Blixen, célèbre grâce à son livre La Ferme africaine, paru en 1937, est devenue, cinq décennies plus tard, carrément iconique grâce à Sydney Pollack et à Meryl Streep, personnage central d’Out of Africa, film sorti sur les écrans en 1985. Une icône ambiguë, mais une icône quand même. L’habile et plantureuse biographie que lui consacre son compatriote, Tom Buk-Swienty, vient compléter un tableau, plutôt glamour, du Kenya colonial et de son héroïne danoise.
Ce gros pavé se lit (presque) d’un trait, tant le récit, sagement chronologique et truffé d’une avalanche de photos noir et blanc, dont certaines sont inédites, sait lier l’aventure personnelle dans ses détails les plus intimes et l’histoire – en l’occurrence un pan de l’histoire coloniale britannique au Kenya, allant de la Grande Guerre jusqu’au début des années 1930. Surtout, l’auteur réussit à pointer, sans s’appesantir, les contradictions et les extravagances de cette figure de femme, extraordinaire pour l’époque, comme le furent d’autres Européennes intrépides – à l’instar d’une Ella Maillart ou d’une Odette du Puigaudeau.
Les années africaines de Karen Blixen, née Karen Christentze Dinesen, qui avait quitté Naples pour le grand port kényan de Mombasa, en décembre 1913, à l’âge de 28 ans, sont à la fois merveilleuses et maudites. Merveilleuses, du fait de la beauté des paysages, mais aussi du fait, plus rare, de la rencontre de cette riche muzungu (l’étranger, le blanc, en langue swahili), plutôt snob et naïve, avec les populations locales. Soucieuse de sa classe, mais pas de sa « race », Karen Blixen ne cessa jamais de considérer les « indigènes » comme « supérieurs en bien des choses » aux Européens. Fustigeant la « très mauvaise influence » des missionnaires, elle admira, un temps, du moins, les musulmans somalis, vantant leur « dignité » et leur « sagesse innée ».
On retrouve, dans le livre de Buk-Swienty la longue silhouette de Farah, le majordome somali de La Ferme africaine. Une note malencontreuse le fait naître ici « à Aden, dans le Somaliland » (Aden est au Yemen), mais il n’en est pas moins décrit comme l’un des auxiliaires les plus précieux de Karen Blixen – comme Kamande Gatura, cuisinier autodidacte, qui régalera, des années durant, les Blancs invités de la ferme de Mbogani.
Contrairement à ses pairs britanniques, qui manient à plaisir le fouet, le mépris et l’insulte à l’encontre des « indigènes », Karen Blixen fait preuve d’une attention et d’une bienveillance singulières vis-à-vis de ses domestiques et de la foule des travailleurs agricoles, hommes et femmes, recrutés pour la récolte du café. L’auteur ne fait qu’effleurer cet aspect de l’histoire : quel était le salaire de tout ce petit monde ? On l’ignore. Étaient-ils tous payés, d’ailleurs ? Quelles étaient leurs conditions de vie, de travail ? On sait – cela est rappelé – que c’est par les impôts, levés d’autorité par les colons, que les Subsahariens se sont retrouvés, au Kenya comme ailleurs, obligés de trimer au profit de leurs maîtres blancs – réduits ainsi à un statut de serfs. Précis quand il s’agit des sommes colossales englouties (en pure perte) dans la Karen Coffe Company, Buk-Swienty reste muet sur ce point. Une note en fin d’ouvrage indique qu’un Kényan, George Mungai, « travaille sur un documentaire consacré à KB, sur la manière dont elle était vue à l’époque par les Africains qui étaient à son service, et celle dont leurs descendants la voient ». Merci à lui ?
Les lettres et courriers échangés entre Karen Blixen et ses proches – tous lettrés et tous blancs – constituent la base essentielle du livre. Le résultat est à la fois passionnant et frustrant. La suite des malheurs qui accablent celle qui ne fut jamais, contrairement à ses dires, la patronne de « sa » ferme (mais seulement la gérante de terres volées aux autochtones), occupe l’essentiel du livre. Des déceptions causées par son mari volage, qui lui légua le titre de baronne mais également la syphilis, sans oublier la fin tragique de cet amant terrible et lumineux que fut Denys Finch Hatton, aristocrate anglais, devenu guide de safaris, et qui entretint avec Karen Blixen une liaison aussi fougueuse qu’intermittente, La Lionne retrace en détail cette vie africaine qui s’acheva, en 1931, comme elle avait commencé : sur un fiasco commercial et des échecs amoureux à répétition.
Sauvée par sa famille – par son oncle Aage et son frère Thomas, en particulier, qui jamais ne l’abandonnèrent –, l’auteure des Sept contes gothiques trouva, in extremis, une forme de salut dans l’écriture. Morte en 1962, celle qui se déclarait, non sans panache, « pro-indigène », aurait sans doute applaudi à l’indépendance du Kenya, proclamée le 12 décembre 1963, après des années d’une répression terrible, menée par ceux qui, à l’instar de Lord Delamere, son ami, voulaient faire de ce morceau d’Afrique de l’Est un « white man’s country »…

Catherine Simon

La Lionne, Karen Blixen en Afrique,
Tom Buk-Swienty
Traduit du danois par Frédéric Fourreau
Gaïa, 912 pages, 33

Karen Blixen, en blanc sans noir Par Catherine Simon
Le Matricule des Anges n°253 , mai 2024.
LMDA papier n°253
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