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Domaine français Traverser les mondes

mai 2024 | Le Matricule des Anges n°253 | par Guillaume Contré

Avec ce récit sensible et plein d’humour d’une émancipation rocambolesque, Hédi Cherchour signe un roman remarquable.

Hôtel de l’univers

Si écrire c’est trouver une voix et convoquer des images, on peut dire qu’Hôtel de l’univers, premier roman d’Hédi Cherchour, démarre sur les chapeaux de roues : « Lui il dit ça. Il dit que la première fois qu’il a porté un couteau c’était en été 1948, dans le cimetière musulman de la ville des asphodèles, à Berrouaghia. » La voix, au début de ce récit qui, dès l’incipit, entre dans le vif du sujet, c’est celle du père : « il raconte, il conduit. Nous écoutons ». Le père, en voiture, qui déblatère et sa progéniture qui l’écoute, scène inaugurale d’un livre qui ne manque pas de scènes remarquables. Des scènes dont l’autrice sait tirer tout le jus, soit en les concentrant pour une efficacité maximale, soit en les étirant pour y faire entrer – sans forceps – tout un contexte social et culturel.
On est donc en voiture, on fera bientôt une pause dans un PMU paumé, on est en 1975 et l’époque tout entière est là, devant nous, restituée en quelques traits de plume aussi vifs que précis. Comme le seront toutes les années – 1976 et sa canicule infernale, 1980, 1989, 1993, etc. – mentionnées comme des leitmotivs dans ce récit qui est celui d’une vie. Un drôle de bildungsroman parfois tragique et qui n’en reste pas moins, tout du long, d’une enviable vitalité et d’une redoutable cocasserie. Jusqu’à une fin presque trop belle pour être vraie – ou trop kitsch, mais c’est le happy end ou le néant car il n’y a d’histoire que si on ne crève pas –, la seule fin possible en définitive dans ce texte qui va vite et met toujours dans le mille. Autobiographie fictive ou fiction autobiographique, qu’importe, Hédi Cherchour n’écrit pas pour prendre la pose. Dans sa prose orale, dense et poétique, chaque image porte pour mieux raconter « le bloc des âmes échouées sur le bas-côté de la route ».
Alors il parle, le paternel, en conduisant sa Simca. Il parle de l’Algérie, son pays, celui que ses enfants nés en France dans une cité drômoise ne connaissent pas. Il s’emporte au volant de sa voiture, sa voix tremble à l’évocation de ce maudit « mektoub », ce que d’autres appelleraient le « fatum », la fatalité, le destin que Dieu a réservé pour chacun : « il va, il vient le mektoub, il nous sauve, il nous fout dans la merde parfois, graveleux mektoub ! ». Il est exubérant, ce père, il est pénible, il est attachant. Et puis il a une cicatrice sur le ventre qui intrigue sa fille Farida, héroïne et narratrice que nous verrons grandir jusqu’à son émancipation, histoire d’échapper si possible à l’ennui et la précarité d’une cité qui s’effrite sur elle-même.
« Nous serons pauvres mais propres, nous serons propres face à ceux qui voudraient nous faire passer pour des crades, nous serons propres, et nerveux ». Une enfance nerveuse et pleine d’injonctions contradictoires au bord de la Nationale 7, dans une cité où les Arabes se mêlent aux Portugais et aux Français, avant que le quartier ne finisse par se ghettoïser, au grand dam du père pour qui « les Arabes concentrés entre eux n’ont aucun civisme ». Et sa fille, à qui on ne la fait pas, d’ajouter que « les Arabes exilés du B1 », le bâtiment où vit la petite famille, « ne veulent profiter du mont Ventoux qu’entre eux, ne rien partager ».
Le père, d’un boulot de maçon à l’autre, ne rêve que de s’intégrer, d’apprendre à parler bien français (il répète en se gargarisant tous les nouveaux mots qu’il apprend). Et s’il n’avait pas eux tant d’enfants, il aurait été quelqu’un, à n’en pas douter : « Mon père, s’il n’avait pas été mon père, il serait devenu Albert Einstein. C’est mon père qui maintient cette probabilité ».
Le père tient à quelques principes inamovibles : « le travail c’est la santé », martèle-t-il, même s’il ruine la sienne sur les chantiers. Et la femme ne doit pas travailler et, à la limite, pas trop sortir non plus de l’appartement. C’est au chef de famille d’assurer la subsistance de tous. « Mon enfance », dit Farida, « ce n’était absolument pas l’époque de la délinquance, mais bien celle des jonquilles ». Ces fleurs, ce sont les derniers restes d’une campagne sur laquelle a été édifiée la cité.
La délinquance, ou quelque chose de plus inquiétant, viendra plus tard, après l’adolescence et les étés passés à ramasser des fruits pour un paysan « millionnaire » en compagnie de types mutiques ramenés spécialement de Meknès. La délinquance, le risque du monde, viendra au contact d’un beau parleur, un certain Yanis qui embrouille la meilleure copine de Farida et les embarque dans des affaires louches.
Puis, après un tour de France de tous les possibles et de tous les dangers, c’est Marseille pour Farida, Marseille et l’hôtel de l’univers, un taudis où l’on survit comme on peut, un endroit merdique qui est à la fois la promesse d’une misère définitive, d’une vie au rebut, ou d’une sortie, enfin, de sa condition pour une vie non pas « normale » (quel intérêt ?) mais vécue plutôt que subie.

Guillaume Contré

Hôtel de l’univers,
de Hédi Cherchour
Vanloo, 240 pages, 18

Traverser les mondes Par Guillaume Contré
Le Matricule des Anges n°253 , mai 2024.
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