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Domaine étranger Entre hommes

mai 2024 | Le Matricule des Anges n°253 | par Thierry Cecille

Prenant au mot Thomas Mann, Olga Tokarczuk nous conduit, en compagnie de son héros candide, dans sa Montagne magique – maléfique plutôt.

Le Banquet des Empouses

Dès le titre, le mystère s’annonce. Qui sont donc ces Empouses ? Dans sa pièce Les Grenouilles, ici citée, Aristophane les présente comme les gardiennes des Enfers. Philostrate, lui, évoque des démons femelles se transformant en femmes pour séduire et détruire les hommes. Très vite nous comprenons, avec étonnement, qu’elles sont les narratrices de cette histoire, dissimulées et attentives aux moindres faits et gestes et aux paroles de ces drôles de créatures que sont les humains. « Nous, les empouses, nous les observons d’en bas, comme toujours, par en dessous ; nous les voyons comme de gigantesques colonnes au sommet desquelles se trouve un petit appendice qui parle : la tête. Leurs pieds écrasent de façon mécanique le sous-bois (…), piétinent les corps minuscules des insectes qui n’ont pas eu le temps de fuir le cataclysme annoncé par les vibrations  ». Quant au banquet du titre, nous préférons ne pas dévoiler ce dont il s’agit…
Comme dans La Montagne magique de Thomas Mann, nous allons donc, par les yeux de ces créatures, suivre durant quelques mois le séjour de Mieczyslaw dans ce village de Silésie, non loin de la frontière tchèque, où il vient soigner ses poumons malades. Comme son prédécesseur Hans Castorp, c’est un jeune homme d’une vingtaine d’années, naïf mais intelligent, timide et bienveillant, qui, en cette année 1912, espère échapper à la maladie et, en même temps, s’accommoder d’une tare secrète, que nous ne révélerons pas non plus. Ses finances ne lui permettant pas de résider au sanatorium, il s’installe dans une plus modeste pension de famille et devra y côtoyer et parfois supporter d’autres malades, uniquement masculins.
Ligne après ligne, paragraphe après paragraphe, page après page, l’écriture d’Olga Tokarczuk (prix Nobel de littérature en 2018), à la fois naturaliste et métaphorique, nous ensorcelle. Comme Mieczyslaw nous faisons ainsi l’expérience d’un certain rapport au temps, distendu, ralenti, sans que jamais pourtant l’ennui ne s’installe. Jour après jour, méticuleusement, comme s’il s’agissait d’établir un diagnostic, les empouses accompagnent Mieczyslaw, l’observant, l’espionnant. Se succèdent ainsi les promenades, dans une nature ici majestueuse et secrète, décrite avec une sorte d’empathie sensuelle. Voici une hêtraie : « Les feuilles forment (…) une voûte pourpre qui le protège de la grisaille du ciel d’automne. Les troncs argentés impeccables des arbres soutiennent cette immense voussure en créant des nefs et des transepts. Les vitraux des frondaisons, dont chaque feuille est un bout de verre qui joue avec la lumière selon ses propres règles, laissent pénétrer un chatoiement multicolore ».
Mais même durant ces promenades Mieczyslaw doit parfois subir les dialogues incessants entre les pensionnaires qui se pensent aptes à philosopher sur la marche du monde – surtout lorsque l’alcool les rend plus diserts encore. Comme chez Thomas Mann (pensons à l’affrontement entre le rationaliste Settembrini et le plus sombre Naphta), ils ne cessent de débattre sur le progrès ou la décadence de la civilisation européenne mais finissent toujours par se mettre d’accord sur un bouc émissaire : la femme. S’amusant à mettre dans leur bouche ces « propos misogynes », Olga Tokarczuk précise à la fin du roman qu’il s’agit là de « paraphrases de textes » d’auteurs dont elle donne la liste ! Ces diatribes contre les femmes sorcières ou « parasites », voleuses d’énergie ou hystériques, Mieczyslaw ne cesse de les confronter aux préceptes masculinistes que lui inculqua son père et aux souvenirs de sa jeunesse pour tenter de se comprendre, de se frayer un chemin personnel. Seul le banquet des empouses, expérience effrayante mais révélatrice, lui permettra de se trouver…

Thierry Cecille

Le Banquet des Empouses,
Olga Tokarczuk
Traduit du polonais par Maryla Laurent
Noir sur blanc, 298 pages, 23

Entre hommes Par Thierry Cecille
Le Matricule des Anges n°253 , mai 2024.
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