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Domaine étranger Panser par les gouffres

mai 2024 | Le Matricule des Anges n°253 | par Camille Cloarec

Le deuxième volume de la trilogie autobiographique de Daniele Mencarelli est un condensé de détresse, d’empathie et de pudeur. Bouleversant.

La Maison des regards

Après Nous voulons tous être sauvés (Globe, 2022), qui retraçait l’hospitalisation de l’auteur en soins psychiatriques, nous retrouvons Daniele Mencarelli quelques années plus tard, en mars 1999. Il a désormais 25 ans et les difficultés se sont accumulées sans lui laisser de répit. « Jusqu’à l’âge de vingt ans, j’ai réussi à tenir à distance le regard que le sort m’a donné », résume-t-il. Le regard, c’est ce mélange de fatalité, de vulnérabilité et de sensibilité (quoique Mencarelli déteste ce mot) qui lui a été attribué à la naissance et dont il ne parvient pas à se dépêtrer. Le regard, c’est ce qui lui permet d’écrire mais aussi ce qui le fait plonger. Comme l’assène sa mère : « Tant que t’auras pas compris que ce que tu ressens est un trésor, et non une malédiction, tu seras jamais en paix ».
Daniele habite à Ariccia, juste à côté de Rome, chez des parents à bout qui supportent de moins en moins ses frasques. Il a converti sa consommation de drogue en alcool (qui « escamote les angles qui me blessent »), se réveille n’importe où dans n’importe quel état et se retrouve paralysé par la plupart des choses du quotidien. Sa famille, à laquelle le livre est dédié, est exsangue, ployant sous « tout le chagrin planté dans la poitrine alarmée d’un père et d’une mère, d’un frère et d’une sœur, les vies interrompues par ma chute, une chute aussi précise que le plongeon d’un athlète olympique ». Quand il atterrit à l’hôpital pédiatrique de l’Enfant-Jésus, grâce à la recommandation hasardeuse d’un ami poète, l’on est en droit d’imaginer que l’expérience sera courte voire désastreuse. Lui qui s’est déjà essayé à de multiples boulots (parmi lesquels représentant de climatiseurs ou encore relieur de livres), le voilà propulsé dans ce gigantesque complexe hospitalier de référence pour y effectuer le ménage.
Ce que le narrateur découvre, d’emblée, n’a rien à voir avec la pénibilité des tâches qui l’attendent (déboucher des toilettes, désinfecter des laboratoires), de nuit comme de jour. Au détour d’un couloir, il aperçoit le corps d’une petite fille dans un cercueil. Cette scène malheureusement des plus ordinaires au sein de l’hôpital lui fait l’effet d’un électrochoc : « Je ne savais pas que les enfants mouraient, d’accord ils meurent, mais pas comme ça, comme ce scandale de beauté et d’enfance épuisée à mes pieds ». Malgré ce malheur qui le transperce, malgré l’ingratitude de son travail, malgré les gueules de bois, il fait preuve d’une rigueur et d’une assiduité surprenantes. La camaraderie qui le lie avec les membres de son équipe n’y est pas étrangère. Chaque collègue possède une langue, des rêves et une histoire qui lui sont propres et avec lesquels il se familiarise peu à peu. Au fil des pages, les angoisses de Daniele le laissent davantage respirer. Son emploi devient une véritable bouée de secours qui lui permet de traverser les semaines sans trop de heurts. « Observer, tel est mon vrai travail », note-t-il. Dans le plus grand silence, il emmagasine la multitude d’émotions que cette nouvelle expérience éveille en lui. Il consigne mentalement les moindres détails liés à l’architecture des bâtiments, aux techniques de décrassage, aux luttes syndicales, aux silhouettes qui ne font que passer ou bien qui s’installent. Il sait que, tôt ou tard, tout cela le débordera : « Je garde tout en moi jusqu’au moment de l’hémorragie, jusqu’à l’explosion où tout jaillit, mot après mot ».
Car l’écriture de Daniele Mencarelli répond à une double urgence : celle de se libérer de l’insoutenable bouillonnement qui l’habite et trop souvent le terrasse, et celle de donner une voix à toutes ces personnes qu’il a côtoyées à l’Enfant-Jésus. « Autrement, ils me poursuivraient toute ma vie, l’un après l’autre, une armée d’enfants nus, outragés par la maladie, ou portant leur vêtement du dimanche pour fêter leur mort. Et à leurs côtés, une autre armée. Leurs parents. Bouleversés, écrasés par une fatigue jamais récompensée, morts eux aussi. » Ainsi, La Maison des regards est autant le récit d’un combat fiévreux contre l’addiction et la tentation qu’une chronique sociale sur les laissés-pour-compte qui peuplent l’hôpital, des petites mains qui y triment aux familles endeuillées par la maladie. La finesse des dialogues, très justement restitués dans la traduction de Nathalie Bauer, fait la part belle aux accents, maladresses et hésitations qui ponctuent les échanges des personnages. Et c’est tout un monde qui prend vie sous nos yeux – bigarré, maltraité, silencié. Un peuple de lutteurs, auquel l’auteur rend somptueusement hommage.

Camille Cloarec

La Maison des regards,
Daniele Mencarelli
Traduit de l’italien par Nathalie Bauer
Globe, 320 pages, 23

Panser par les gouffres Par Camille Cloarec
Le Matricule des Anges n°253 , mai 2024.
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