La lettre de diffusion

Votre panier

Le panier est vide.

Nous contacter

Le Matricule des Anges
ZA Loup à Loup 83570 Cotignac
tel ‭04 94 80 99 64‬
lmda@lmda.net

Connectez-vous avec les anges

Vous n'êtes actuellement pas identifié. Pour pouvoir commander un numéro, un abonnement ou bien profiter, en tant qu'abonné, des archives en ligne, vous devez vous connecter avec votre compte.

Retrouver un compte

Vous avez un compte mais vous ne souvenez plus du mot de passe ? Vous êtes abonné-e mais vous vous connectez pour la première fois ? Vous avez déjà créé un compte, peut-être, vous ne savez plus trop ?

Créer un nouveau compte

Vous inscrire sur ce site Identifiants personnels

Indiquez ici votre nom et votre adresse email. Votre identifiant personnel vous parviendra rapidement, par courrier électronique.

Informations personnelles

Pas encore de compte?
Soyez un ange, abonnez-vous!

Vous ne savez pas comment vous connecter?

Essais Feuilles de soin

juin 2024 | Le Matricule des Anges n°254 | par Christine Plantec

Les notes lumineuses d’humanité de Lorand Gaspar (1925-2019), médecin-poète, éclairent d’un regard neuf toute son œuvre.

Feuilles d’hôpital

Feuilles d’hôpital est un essai sur le métier de médecin. Pendant vingt ans, patiemment consigné sous forme de notes écrites à la va-vite à l’hôpital, d’instants choisis, de citations, de notules et remarques sur ses lectures, d’épiphanies visuelles, cet ensemble composite est aussi le cœur battant d’une pratique essentielle à Lorand Gaspar : la réécriture. Et c’est en 1998, après pas moins de 46 versions que l’auteur met un point final à son entreprise. On pense à Montaigne, bien sûr, dont le compagnonnage affleure à chaque page de ce livre passionnant.
D’origine hongroise, Lorand Gaspar naît en Roumanie en 1925. Après avoir intégré l’École polytechnique de Budapest en 1943, il est déporté un an plus tard dans un camp de travail dont il parvient à s’échapper. Réfugié en France, il entreprend des études de médecine. S’il démarre l’exercice de la chirurgie digestive aux Hôpitaux de Paris, il est nommé en 1954 médecin chef des Hôpitaux de Jérusalem et de Bethléem où il subit les contrecoups du conflit israélo-palestinien. Mais l’expérience des déserts du Moyen-Orient signe son entrée en écriture : Le Quatrième État de la lumière (1966), Gisements (1968), Sol absolu (1972). Ses positions en faveur d’une coexistence pacifiste entre Palestiniens et Israéliens le mettent en danger ainsi que sa famille. Il quitte Jérusalem et s’installe en 1970 en tant que chirurgien à l’Hôpital universitaire de Tunis où il exerce jusqu’à sa retraite en 1992.
Si sa vie est une succession d’exils, c’est davantage en « flâneur du mouvement perpétuel » qu’il se définit. Ce positionnement lui permit peut-être de faire la navette entre deux pratiques si différentes. La passion pour son métier aurait pu l’éloigner de l’écriture mais c’est pourtant dans l’entrelacement du scientifique et du poétique que Gaspar trace sa trajectoire particulière. Entre urgence et ralentissement, action et contemplation, silence de la douleur et « écoute en nous de “la vraie vie” partageable » qu’il nomme « Poésie ».
Indéfectible lien, donc, du poétique et du médical, manière de voir, de concevoir son rapport au monde comme un « entretissage d’une infinité de mouvements singuliers ». La trame même du vivant lorsqu’au sortir du travail à Tunis, il perçoit soudain le vol des martinets, « ballet léger de trajectoires qui se croisent, s’imbriquent avec une souplesse, une spontanéité que l’on sent parfaitement identiques à la puissance et à la nécessité de leur nature ». Et emboîtant le pas aux oiseaux, Gaspar bifurque, navigue et retourne à un souvenir dont la puissance visuelle pourrait cristalliser l’ouvrage dans son entier : « Naguère, dans les Souks d’Orient où les artisans travaillent sous les yeux des passants, je m’arrêtais souvent pour regarder, “écouter” ces mains qui bougent comme volent les martinets pour se nourrir. Tels devraient être les gestes du médecin ».
L’attention aux choses sensibles se fait ici intention : le savoir (médical) n’a aucun sens sans savoir-faire, ce savoir-faire est une écoute, cette écoute la condition du soin. Depuis les années 1980, le care a connu un essor considérable même si « de ces lieux où toutes les acquisitions de notre technologie sont mises au service de l’homme en difficulté, l’homme est, trop souvent, exclu ». Gaspar remet la relation au centre de sa pratique, laquelle faite d’expertise, de respect, de confiance, de pédagogie est un engagement mutuel, un soin réciproque car c’est « avec » le patient qu’on parvient à soigner « mais aussi de permettre à cet autre de procéder pareillement en nous ».
À mesure que le médecin-poète avance dans le temps, sa conception relationnelle du soin s’étend à tous les domaines. Plutôt que d’opposer les disciplines, il en revendique le lien fertile, déplorant le fait que les étudiants en médecine soient recrutés pour leur compétence scientifique alors que la fréquentation des livres leur serait d’un grand secours. Comment ce lecteur de Kafka, Marc Aurèle, Montaigne, Spinoza pourrait-il envisager sa pratique autrement ? En rappelant l’interdépendance du corps et de l’esprit (l’exemple du placebo), non seulement il bat en brèche le très tenace dualisme cartésien mais il rappelle que le vivant ne peut être circonscrit à la réalité objectivable de ses manifestations.
« Métier impossible » tant il confronte aux limites du savoir, à la douleur, à la finitude. Pourtant Gaspar parlant de l’écriture de La Recherche de Proust en dit peut-être autant de sa pratique de médecin et de poète : « un lent déploiement de la tapisserie, où chaque figure, les moindres détails, sont dessinés, coloriés, rythmés avec soin, la compréhension de quelques-unes des lois de son tissage, lui révèlent peu à peu sa vraie vie : joie incomparable ».

Christine Plantec

Feuilles d’hôpital
Lorand Gaspar
Édition établie par Danièle Leclair
Héros-Limite & Éditions BHMS, 272 pages, 24

Feuilles de soin Par Christine Plantec
Le Matricule des Anges n°254 , juin 2024.
LMDA papier n°254
6,90 
LMDA PDF n°254
4,00