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Traduction Charles Bonnot

mars 2025 | Le Matricule des Anges n°261

Fils prodigues de Colin Barrett

En préambule, une confession : dans le premier roman de Colin Barrett – qui s’était fait remarquer sur la scène littéraire irlandaise avec Jeunes loups, recueil de nouvelles sur les déboires d’une jeunesse qui n’en finit plus de subir les retombées de la crise financière ayant secoué le « Tigre celtique » – il n’est nulle part fait allusion à la parabole du fils prodigue. Comment, alors, passe-t-on du Wild Houses original à Fils prodigues  ? Quand Delphine Valentin, l’éditrice du roman, m’a invité à participer à la réflexion sur le titre, j’ai abordé la question avec toute la sérénité de celui qui n’a rien à perdre, compte tenu de mon taux de réussite famélique dans cet exercice.
Reprenons donc depuis le début. Les wild houses dont il est question posent déjà un problème en anglais : l’expression apparaît dans le texte, mais au singulier, pour désigner la maison de Cillian English, petit dealer qui a eu le bon goût d’emménager avec l’une de ses clientes. Cette maison, sise dans un lotissement cossu de Ballina, petite ville du comté de Mayo, au nord-ouest de l’Irlande, lui a un temps servi de point de vente tout en étant le décor de fêtes incessantes. Or, le terme, qui désigne donc un lieu de stockage et de vente de drogue, apparaît dans la bouche de la mère de Cillian pour critiquer les choix de carrière de son fils, au moment où Doll, son deuxième garçon de seize ans, doit justement passer chez son grand frère en compagnie de Nicky, sa petite amie qui, quand elle n’est pas en train d’enchaîner les services dans un pub de la ville, lui tient lieu de chauffeur. Première hypothèse, donc, parler d’un « four », terme d’argot devenu relativement courant et potentiellement connu des lecteurs bien renseignés. Malheureusement cela faisait de la mère de Cillian une trop grande experte de ce commerce, et il sera donc fait référence à la « cour des miracles », en décalant légèrement le jugement défavorable de Sheila depuis les sources de revenus de Cillian vers ses fréquentations.
Deuxième question : pourquoi un pluriel dans le titre anglais ? Parce qu’il y a en réalité un deuxième « four » dans le roman, la ferme où Dev, un géant timide d’une vingtaine d’années, vit seul depuis la mort de sa mère. Il y planque la drogue de ses deux cousins, Gabe et Sketch Ferdia, qui se trouvent être – Ballina est petit – les fournisseurs de Cillian. Ou plutôt qui étaient, car Cillian ne tient plus salon et n’a plus rien à vendre depuis qu’il a échoué à leur rembourser une dette. Et comme il ne paye toujours pas, les Ferdia enlèvent le petit frère et l’emmènent chez Dev, laissant trois jours à Cillian pour réunir la somme nécessaire à sa libération.
Le temps d’un week-end d’été, celui du festival du Saumon, Dev se retrouve ainsi, sans vraiment le vouloir ni le refuser, complice d’une sorte de kidnapping au ralenti, poussé par des cousins dont l’assurance dans ce qu’ils font paraît aussi peu fiable que la version des événements édulcorée qu’ils cherchent à faire avaler à Dev comme à Doll : quatre gars qui boivent des bières, regardent la télé et fument des joints en attendant que se règle un différend comptable.
Au sein de ce schéma de roman noir, et sans laisser retomber la tension ambiguë et parfois étouffante d’une intrigue à combustion lente, Colin Barrett déploie une impressionnante délicatesse d’écriture. Sur la forme, c’est notamment la richesse et la densité de ses descriptions de personnage ou d’objet que j’en suis venu à admirer, redouter légèrement puis guetter impatiemment. Son sens du détail et cette précision d’horloger peuvent aussi bien porter, dans des gros plans à la Martin Parr, sur le bouton d’un col de chemise ou la cicatrice d’un petit chien castré que sur une ampoule de cave empoussiérée ou le public du festival : « Des groupes de jeunes hommes, qui avaient attaqué tôt, traînaient à la sortie des pubs et sirotaient leurs bières dans des gobelets en plastique en observant l’éclatant chahut de la rue, les bras croisés sur la poitrine comme des fermiers, des sourires de connivence vitreux fendant leurs visages rougis, puis ils se penchaient les uns vers les autres pour se provoquer du coin des lèvres avant de partir dans de volumineux spasmes silencieux de rires entendus. »
Sur le fond, le talent du nouvelliste qui profite de tout l’espace que lui offre le roman s’exprime dans sa construction très efficace des personnages. Dépeints en creux, par leurs voix autant que par leurs silences, ils bénéficient, par le jeu des focalisations, de riches portraits psychologiques. Ce qui rapproche Colin Barrett de l’incontournable Sally Rooney, c’est la façon dont il esquisse l’apathie supposée de cette génération tout en pointant les violences matérielles et psychologiques qui l’immobilisent. L’exploration de l’intériorité des personnages face à la dépression, au deuil, aux crises d’angoisse ou aux disputes de couple fait à mon sens partie des points forts de ce texte malgré tout empreint d’humour.
Demeure à ce stade la fameuse question du titre. On l’aura compris, à la différence des pères, les fils ne manquent pas chez Colin Barrett, même si leur prodigalité reste discutable. La référence vient d’une association d’idées qui s’explique par le fait d’avoir traduit ce roman quelques mois après la mort de Shane MacGowan, le chanteur des Pogues. Me trottait alors dans la tête « The Wild Rover », chanson sur un vagabond qui rentre chez lui couvert d’or et promet d’abandonner cette vie de bon à rien. Dans un couplet, il assure : « I’ll go to my parents/Confess what I’ve done/And I’ll ask them to pardon their prodigal son ».
Si on accepte ce retournement ironique pour un roman sur des jeunes hommes certes opportunistes mais résolument statiques, on peut juger le clin d’œil plutôt approprié dans la mesure où leurs excuses et leurs promesses diverses n’engagent que ceux qui veulent bien y croire.

*A traduit entre autres Douglas Stuart, Arthur Nersesian, David Wong. Fils prodigues (256 pages, 21 ) paraît le 5 mars aux éditions Rivages.

Charles Bonnot
Le Matricule des Anges n°261 , mars 2025.
LMDA PDF n°261
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