Alexander Stuart écrit comme un amant soulève la bretelle d’un soutien-gorge : la plume suggère d’abord et révèle ensuite. Guetté avec impatience, l’objet convoité apparaît alors dans toute sa nudité. L’effet est assuré. Le soutien-gorge arraché dans Zone dangereuse est celui de Jessie, la soeur nymphomane de Tom, le narrateur. Tom aime faire son autoportrait en voyou moderne de l’époque thatchérienne. Il veut choquer et préfère la fréquentation des zones industrielles glauques à celle des cottages embruimés de pluie. C’est pourtant bien cet hooligan là qui sera profondément choqué par sa punkette de soeur et son bourgeois de père. Amoureux de Jessie, Tom découvre violemment la relation sexuelle que cette dernière entretient avec son père. « Papa est agenouillé face à elle. Ses genoux (…) doivent être glissés entre ceux de Jessie. Au moment où je regarde, à l’instant où le premier raclement de la porte d’entrée produit son effet, les mains de Jessie puisent de l’eau pour la verser sur la partie de son corps à lui qui perce la surface du bain - un pantin à ficelle, sa trique, une vrai pine de cheval, plus hideuse, plus fascinante, plus menaçante que je ne l’ai jamais vue ». Scène de révélation où Tom joue les voyeurs involontaires avant d’espionner puis de filmer avec son camescope les ébats de son père avec Jessie. Ce père, « le Noeud », comme l’appelle Tom, devient alors l’objet de toute sa haine.
Nul doute qu’Alexander Stuart a été fortement marqué par la Lolita de Nabokov.
Pendant moderne et britannique de Lolita, Zone dangereuse nous montre que la décomposition du cercle familial n’a fait que s’accentuer avec le temps.
Jessie, symbole de la révolte des jeunes générations perdues dans le no man’s land de cette Angleterre, collectionne les dessins de sexes masculins et les aventures érotiques. Son corps est le terrain de toutes les explorations, de toutes ces aventures auxquelles la vie moderne ne permet plus de rêver. Une révolte désespérée et suicidaire un plongeon dans le stupre et la drogue, une fuite en avant que Tom n’arrive pas à comprendre.
Le père, lui, est prisonnier du désir brutal que fait naître sa propre fille. Il accepte d’être la cause du drame familial, obsédé jusqu’à la jalousie par le corps somptueux de Jessie.
« La mort qui égrenait ses chiffres, le rapprochait sans cesse un peu plus de sa fin. Mais je crois qu’il aurait baisé n’importe qui cette nuit-là. J’ai juste fait en sorte que ça soit moi », confie, au final, Jessie.
A 37 ans, Alexander Stuart débute une carrière littéraire prometteuse. Auteur de scénarios pour le cinéma, il pourrait devenir, pour les lettres d’outre-manche, ce qu’est aujourd’hui Stephen Frears pour le septième art.
Zone dangereuse
Alexander Stuart
traduit de l’anglais
par Rémy Lambrechts
Balland
335 pages, 130 FF
Domaine étranger Le Stephen Frears des lettres
novembre 1992 | Le Matricule des Anges n°2
| par
Thierry Guichard
Alexander Stuart avec Zone dangereuse a réussi un roman troublant. Dans une Angleterre arrosée de pluie, une histoire d’inceste avec une Lolita sortie du mouvement punk.
Un livre
Le Stephen Frears des lettres
Par
Thierry Guichard
Le Matricule des Anges n°2
, novembre 1992.