J’avais toujours voulu écrire un livre s’achevant sur le mot Mayonnaise « écrit Brautigan dans La Pêche à la Truite en Amérique. Puis le livre se clôt sur une lettre de condoléances, suivie d’un » P.S. Je suis désolée, j’ai oublié de vous donner la Mayonnaise (sic) «
La mayonnaise, c’est le b.a ba de la cuisine. Mais tout est dans le choix des ingrédients et le respect des proportions. Dans Brautigan sauvé du Vent, Marc Chénetier, fin gourmet de la littérature américaine, nous invite à » entrer dans la cuisine de l’auteur « .
Celle de Brautigan se caractérise par la délicatesse de son fumet, un pur bonheur pour le palais de l’imaginaire. Mais la préparation n’est pas simple. La complexité et la variété des recettes a jusque là, dissuadé bien des critiques, et laissé le champs libre à toutes les orgies de clichés hérités de l’exotisme des années 60, aux commentaires » cosmétiques « dirait Roland Barthes, et aux propos méprisants de quelques spécialistes littéraires. Ce que Chénetier propose, c’est de retrouver la matière de l’oeuvre. Derrière l’image du hippie fou sous son chapeau à bords larges, il extrait les composants de » ce mélange unique d’inventions et de procédés qui confère aux récits de Brautigan leur parfum si particulier, si distinctif « . Une tentative déjà amorcée lors de la parution d’Au delà du Soupçon. Mais pour la première fois, le public français est convié à la table de Brautigan, dans l’intimité de son écriture.
C’est d’abord le » romancier de l’instant « que nous présente Chénetier, dévoilant aux convives ses affinités japonaises. » Tout le faire de la nourriture étant dans la composition, en composant vos prises, vous faites vous mêmes ce que vous mangez « : Ainsi en est-il de la cuisine japonaise selon Barthes. Le procédé illustre la démarche de Brautigan révélée par Chénetier. Non seulement le critique met à nu la fragmentation du discours chez Brautigan et son combat incessant contre toute forme figée, mais aussi, de façon explicite, évoque-t-il les références directes de l’écrivain au Japon, avec notamment la mention » roman japonais « qui accompagne Retombées de Sombrero.
Chénetier révèle une autre parenté : Boris Vian, invité lui aussi au festin. Brautigan et Vian, adeptes tous deux du » déculottage " littéraire, adoptent le même penchant pour le déboulonnage des mots, la décomposition du récit traditionnel et l’exploration des lisières du discours.
En guise de promenade digestive d’un auteur à l’autre, d’un écrit de Brautigan à un autre, de l’ouvrage du critique à celui de l’écrivain, le livre de Marc Chénetier n’est qu’invitation au vagabondage. Le plaisir du texte y est seul guide.
Brautigan sauvé du Vent
Marc Chénetier
L’Incertain
125 pages, 85...
Dossier
Richard Brautigan
Au delà du vent
novembre 1992 | Le Matricule des Anges n°2
| par
Sophie Malibeaux
Marc Chenetier fait sonner le texte de l’écrivain américain et son étroite parenté avec Boris Vian.
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