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Zoom Pierre Michon : au nom du fils

octobre 1993 | Le Matricule des Anges n°5 | par Thierry Guichard

Rimbaud, le fils

Pierre Michon vit dans un appartement de liliputien à Orléans, quelques mètres carrés qu’il partage, dit-il, avec toute sorte de bouquins, dont « de véritables merdes ». Heureusement, l’homme vient régulièrement à Paris, goûter les gaz toxiques, entendre les cris des hommes et les klaxons des voitures. Il était donc convenu que nous nous retrouvions, quai N°20, en gare d’Austerlitz, un mercredi matin de novembre. Les locaux du Matricule des Anges (quelques mètres carrés…) étant trop exigus et assez peu accueillants, c’est dans les cafés que toute la journée nous avons poussé notre entretien. Cafés qui recevaient ce jour-là un beaujolais-nouveau au goût de cerise peu probant mais dont la dégustation, avec modération, favorisait de redoutables digressions. Le bistrot, le zinc, sa salle de carrelage facile à laver, ses glaces et le balai des clients vont bien à l’univers de Michon. Impossible que l’écrivain n’ait pas passé de longues heures accoudé à un comptoir, scrutant sur les visages de ses compagnons de hasard, les traces d’une « vie minuscule », les gestes que l’on fait machinalement et qui plus que la parole, parlent de soi. A lire Pierre Michon, on l’imagine, attentif et aimant, écouter les conversations qui l’entourent, pénétrer au cœur de ces vies qui s’offrent là, impudiques dans leur innocence à laisser apparaître les désirs et les craintes, les joies et les tristesses. Pour qui regarde l’être humain de près, c’est un monde qui s’ouvre, c’est l’humanité toute entière qui palpite là, les pieds plantés dans la sciure et les mégots mais la tête dans un rêve de nouveau monde. On pense à ça, en lisant Michon, à cette fraternité qui provoque le frisson et dont on a un peu honte, à ce chant qui redécouvre l’homme, à ce sentiment étrange que l’on appartient au même corps.
Pierre Michon est né, deux mois avant l’armistice de 1945, dans un petit village de la Creuse. L’office de tourisme de Guéret doit probablement décliner sur ses prospectus la tranquillité des lieux. Mais pour l’adolescent grandi là-bas, cette tranquillité a un goût de retrait de la vie. « Ce qu’on veut quand on vit dans ces pays-là, c’est en sortir le plus vite possible. On est obligé de renier cette région, on est forcé de penser qu’ailleurs les choses sont mieux. Quand on est jeune, on est pris d’un sentiment de honte, comme si on était le dernier des hommes. » A ce sentiment vient s’ajouter le départ d’un père qui quitte le foyer alors que son fils n’a qu’un an et demi. « L’enfant se sent responsable d’un tel départ. La grande ligne de force de ma vie c’est l’absence du père. L’écriture doit venir de là, le père devient le grand destinataire, quelqu’un à qui on dédie ce que l’on écrit. » Mais pour autant, l’enfance n’est pas malheureuse. Pierre Michon est choyé par sa mère, enseignante à Mourioux. « Quand on a une mère institutrice, on reçoit de la même bouche l’amour et le savoir, l’amour et le verbe. » Souvenirs de ces poèmes appris par cœur, et que la mère récitait au fils. Le foyer très vite s’agrandit avec l’arrivée des grands-parents maternels qui ont tout abandonné pour retrouver leur fille et leur petit-fils, ce « prince fragile« . »Ils ont laissé leur exploitation, ils ont laissé leur métier d’agriculteurs pour venir vivre avec nous. C’est le deuxième deuil de mon enfance. Parce qu’ils ont quitté leur ferme comme après une catastrophe, d’un coup. Il y a cinq ans, encore, lors de la rénovation, on a retrouvé des pots de confiture pleins. Cette ferme a été abandonnée comme si on l’avait fuie. C’était pour moi comme la preuve d’un vrai gâchis de la vie, comme si quelque chose de désastreux s’était produit. » Avec eux, ses grands-parents maternels qui pour l’enfant, peut-être, ont abandonné un peu de leur vie, c’est une nouvelle langue qui s’installe dans la maison, le patois. « C’est très important pour mon usage de la langue. Par rapport à ce patois, la langue littéraire est une langue étrangère. » De cette enfance encoconnée, Pierre Michon se souvient de sa fascination pour la poésie de l’école primaire : « C’était comme une messe laïque avec des morceaux de vers qu’on ne comprenait pas mais qui étaient très puissants ; on sentait cette présence de la littérature en entendant cette grande volonté rythmée qui s’exprime par le langage. »
Au sortir de l’enfance, Pierre Michon se retrouve interne au lycée à Guéret. C’est comme une nouvelle mise au monde ; l’enfant unique découvre alors des frères. C’est un moment heureux, la camaraderie qui l’intègre dans cette société de garçons lui donne une légitimité, lui offre une place dans le monde, « c’est l’époque de ma vie où j’ai été le plus intégré. » A nouveau la poésie vient frapper l’esprit de l’élève, « la prose me semblait un état inférieur de la langue, alors que la poésie était, comme le dit Mallarmé, « la langue de la langue ». » La grande découverte, le « drame » de Michon, c’est la rencontre avec Rimbaud. « Je le considérais comme le modèle de l’écrivain. Or, j’ai dépassé l’âge auquel il a cessé d’écrire sans avoir écrit quoi que ce soit. Donc, ce sentiment d’échec, cette impossibilité à l’égaler d’un seul coup m’a brouillé avec moi-même et avec la littérature. » L’écrivain aujourd’hui pose un bémol à ce sentiment, peut-être, dit-il, ce n’était, cette relation à Rimbaud, qu’un prétexte à une pulsion d’échec. Pourtant, à lire Rimbaud le fils, à lire les Vies minuscules, on saisit la double importance de l’absence du père et de la présence, comme divine, de l’image du poète de 17 ans. Pierre Bergounioux, qui ouvre ces Compagnies de Pierre Michon nous donne à comprendre cela. « La même carence suscita chez Michon le même besoin qu’en Rimbaud : celui de combiner les mots de telle sorte que jaillisse d’eux, en nous et pour nous, l’exact équivalemt de juin et de l’enfer, des lessives d’or du couchant. (…) Michon se trouve acculé lorsqu’il s’avise, d’une part, qu’il lui manque un père ou le monde (c’est pareil, c’est une corrélation), la chose nécessaire à son repos, et, de l’autre, qu’il y a eu Rimbaud. » (p 10).
La découverte de Rimbaud aura donc été douloureuse, comme peut-être, le fut la confrontation, à Bruxelles, du jeune Arthur et de Verlaine, tous deux enivrés d’absinthe et tous deux séparés par un révolver pour la simple raison « qu’il n’est pas possible (…) d’être deux à la fois le vers personnellement« (Rimbaud le fils p 70).
Cette époque, où le monde qui s’offre à lui lui renvoie toute son incapacité à l’aborder, Pierre Michon dit l’avoir traversée comme l’aurait fait un personnage des romans des éditions de Minuit, dans une sorte d’absence. Il se sent incapable d’entrer dans la vie active, incompétent à assumer une vie d’adulte.
« J’avais la volonté forte de ne pas être là, tout en étant convaincu que je ne pouvais rien faire, ou plutôt comme si tout ce que je pouvais faire, moi, était frappé d’irréalité. » Etudiant en Lettres à Clermont-Ferrand, révolté contre lui-même, Michon en profite pour se glisser dans les révoltes de l’époque, « ma négativité a pu se changer en positivité, en épousant le combat politique. »
Fin des années 60, l’étudiant est un révolté. 68 est là, qui lui offre l’extériorisation de ses révoltes. Maoïste avec foi ( »Ce n’était pas une posture »), Michon vit assez mal la fin du mouvement : « En 68, la volonté critique qui m’habitait était relayée par la masse. mais après, quand la masse vous a laissé tomber, le discours de révolte n’est plus qu’une vocifération de clodo seul sur un banc. » En 1969, il s’engage dans la troupe de théâtre Kersaki avec laquelle il investit les usines, la rue. Le propos est révolutionnaire. Vivant en communauté, dans une maison prêtée par la municipalité de Clermont-Ferrand, avec un salaire constitué de tickets de resto-U, Pierre Michon s’essaie à jouer les acteurs-décorateurs-agitateurs jusqu’en 1971. Et puis le mouvement se décompose, la communauté se délite. « Quand l’expérience théâtrale s’est effondrée, si j’avais rencontré un réseau terroriste, je m’y serais engagé. C’était la seule issue pour ne pas entrer dans la société civile. » L’échec du mouvement de 68 devient alors un nouveau deuil à porter. Toute sa négativité, qui avait trouvé un moyen d’expression, un lieu de communion avec la masse, avec les frères, toute cette révolte, se retrouve renvoyée à elle-même. C’est l’ère du chaos qui s’ouvre, pour un Pierre Michon au bord de la clochardisation : « Je me sentais incapable de tout, je n’écrivais pas, je faisais des petits boulots, mais je n’ai jamais vraiment travaillé. J’ai fait la manche et j’ai vécu au crochet de certaines femmes qui m’acceptaient. » Pour parler des années 70, ce sont les mots violence, négativité qui reviennent le plus souvent dans la bouche de Pierre Michon. Mais c’est à cette époque aussi que se fait peu à peu la réhabilitation de ces personnages, ces Creusois, que l’adolescent avait rejetés, reniés comme un autre adolescent, un siècle plus tôt s’était pris de haine pour Charleville. En étant « plus bas qu’eux » Pierre Michon découvre la grandeur de ces « vies minuscules » ; c’est le mouvement inverse de l’adolescence qui s’opère ; ce n’est plus le rejet, c’est presque déjà la communion. Ce qu’écrit, une fois encore magnifiquement, Pierre Bergounioux : « La grandeur du menu peuple de la Creuse, elle s’élève sur le mépris où d’abord Michon le tint au nom de ce qu’il se voulut et se crut autre, écrivain, par exemple, occupé de héros pareils à ceux des livres, hanté de lointaines chimères, séparé, par cette illusion même, des vivants qui se tenaient près de lui. » (p 14)
Ce qu’écrivait Pierre Michon entre 1972 et 1980 est nourri des propos théoriques de ces années-là et constitue de son aveu « de grands monuments avant-gardistes impubliables. » Il entre dans ces textes d’alors une part de reniement de la littérature française, un rejet de ce qui s’est écrit avant Rimbaud, comme si la violence qui a surgi vis à vis du monde, et notamment de ce département perdu, la Creuse, avait son équivalent dans le domaine de l’écriture. Et puis… « Et puis un jour j’ai décidé, presque miraculeusement, d’accepter ce que j’étais, avec mes petitesses… J’ai voulu partager la vérité avec l’autre de cette langue que j’avais apprise comme étant littéraire. Ne plus rien renier, tout en étant fidèle à ce que j’étais, faire de cette langue une monnaie d’échange. En fait, l’écriture a toujours été mon but. Je ne m’en sentais pas capable, mais c’était mon but. » C’est la réhabilitation de la langue littéraire, de l’acte d’écriture et aussi celle de ces hommes reniés du passé, ces gens « simples ».
Pierre Michon va déployer une écriture comme une quête de l’homme. Les mots pénètrent l’individu et ramènent, dans une langue d’une poignante clarté, toute l’humanité que Michon avait tenté de taire. C’est la naissance de Pierre Michon écrivain, c’est la naissance de son premier roman, Vies minuscules.
« A cette époque je commençais une histoire amoureuse qui m’a fait accepter l’humain. J’ai pensé à un ouvrier agricole dont m’avais parlé ma grand-mère et j’ai commencé à écrire sur lui. c’est vrai que ce fut miraculeux. J’aurais pu ne jamais rien comprendre mais voilà qu’en écrivant sur cet homme, je savais que j’avais trouvé ce que je cherchais. » Pour expliquer ce qu’est l’écriture, Pierre Michon parle de grâce. Surtout pas de travail. « J’avais cet objet, ce personnage et j’avais de la joie, de la jubilation de faire de ce petit homme, le centre d’un récit et en même temps, en même temps que cette jubilation, j’avais une extrême peine parce que cet homme était un homme fini, comme nous le sommes tous, dans le sens où il va mourir, où il est inscrit dans le temps. » Le manuscrit est achevé. Pierre Michon connait quelqu’un qui connait un membre du comité de lecture. « Je me sentais fort parce que ce texte, c’était ma vérité, je ne pouvais donner davantage, et pour la première fois, je ne me sentais pas incompétent, j’étais en phase, j’étais fait pour ça. » La première tentative est la bonne, la réponse positive est signée Louis-René des Forêts. Après ce premier roman, la période qui s’ouvre est difficile ; « quand vous avez l’impression d’avoir réussi un livre, vous avez tout dit. » Alors l’impulsion qui préside à la création de son deuxième ouvrage, Vie de Joseph Roulin vient de sollicitations extérieures. C’est Alain Nadaud qui demande ce texte pour la revue qu’il anime. Gérard Bobillier, directeur des éditions Verdier, désire ensuite publier le texte. On retrouve quatre ans après les Vies minuscules, Pierre Michon occupé à scruter les tableaux de Van Gogh pour découvrir dans les couleurs du suicidé, la vie de son ami et modèle, Joseph Roulin. Suivra Maîtres et serviteurs qui permet à Michon de prolonger sa « danse » autour des peintres. Entre temps, il aura laissé chez Fata Morgana L’Empereur d’Occident et surtout, ce Rimbaud le Fils dans la superbe collection « L’un et l’Autre » chez Gallimard, condensé magistral de ce rapport à l’écriture et de ce rapport au monde qui font de Pierre Michon l’écrivain qu’il est aujourd’hui.

Pierre Michon : au nom du fils Par Thierry Guichard
Le Matricule des Anges n°5 , octobre 1993.