Les rencontres littéraires tiennent à peu de choses, la grâce des circonstances, la persuasion de quelques amis. Pierre Charras a découvert, lui, Henri Calet pendant son doctorat de lettres, par l’intermédiaire d’un professeur d’éducation physique. C’était Les Grandes largeurs, « cette petite chose blanche (…) avec un méchant titre bleu dont la couleur avait un peu bavé sur la gauche », tiré à 300 exemplaires et imprimé à Bangui. Les textes « en hommage de » ont toujours quelque chose d’impudique, d’un commerce douteux comme si finalement raconter sa filiation, c’était mettre sans trop de risques ses pas dans les traces de l’autre, retranscrire un écho, double mais impersonnel. A cet égard, Monsieur Henri, élimine toute suspicion. A une présentation documentaire ou romancée, Pierre Charras a préféré parler avec son cœur, s’entretenir de ces petits riens, cet air du temps que Calet aimait tant respirer. Marcher dans les rues de la capitale, célébrer les vacances en famille, évoquer l’amour des femmes : Pierre Charras se promène avec délice et nostalgie dans les dédales des souvenirs avec une infinie tendresse. Henri Calet n’est jamais très loin. Avec retenue, comme conscient de son imprudence, Charras l’interpelle, effleure sa mémoire.
On le sait, le monde ne tourne plus très rond : « Depuis que l’homme a marché sur la lune, il n’a plus tellement envie de la décrocher ». On sait aussi que le savoir-vivre a pris quelques plombs dans l’aile. « N’allez surtout pas imaginer qu’on se serait livré ici à je ne sais quelle mise à sac. Non l’aspect général demeure le même, à peu près (…). Mais, c’est l’usage qu’on a perdu ». Les fontains Wallace ? « Paris en est toujours semé. mais, qui songerait à y prendre de l’eau, à y boire… ». Les bancs publics ? « On les méprise un peu. On leur tourne le dos quand on se promène ».
Entre gens de bonne compagnie, entre gens qui donnent trop d’importance aux sentiments, on se comprend. Même si s’entretenir avec un « écrivain qui vous laisse inconsolable » est chose périlleuse. Et même si dire son émotion et son amour l’est encore plus. Alors, il faut se lancer, donner des nouvelles. Celles d’Eva, par exemple, la dernière compagne d’Henri Calet. Pierre Charras l’a rencontrée, à la fin de sa vie. Les images restent intactes. « Je tombais alors contre elle comme on saute d’un viaduc ». Le récit de Pierre Charras déploie une force bien singulière : celle de cerner avec pudeur l’intime émotion.
Monsieur Henri,
Pierre Charras
Mercure de France
136 pages, 85 FF
Domaine français Monsieur, je vous aime
octobre 1994 | Le Matricule des Anges n°9
| par
Philippe Savary
Un livre
Monsieur, je vous aime
Par
Philippe Savary
Le Matricule des Anges n°9
, octobre 1994.