Le serpent est là. Partout. Il veille. Dans les bocaux, sur les mosaïques, dans les prières, autour des bras, du cou, entre les jambes. Il hante les crânes et dévore les entrailles. « Elle sentait le serpent entre ses seins, le sentait là, aimait le savoir là, enroulé sur lui-même, la tête et le cou dressés en un S turgescent prêt à l’attaque. »
La Foire aux serpents est le troisième roman d’Harry Crews traduit en français. On y retrouve cet univers dans la grande tradition « gothique » du Sud, dont il est difficile de devenir, si ce n’est dans le malaise, familier : une sorte de cour des miracles où se seraient donné rendez-vous les personnages les plus tarés de Faulkner et de Flannery O’Connor. Le shérif Matlow, vétéran unijambiste du Viêt-nam, chasse la femme et coffre les récalcitrantes. Big Joe échauffe ses pit-bulls voraces avant l’entrée dans l’arène… Le règne est animal, vicieux et brutal puisque doué d’intelligence. Le plus sordide dans un combat de chiens se déroule, bien sûr, dans les tribunes : « On pariait maintenant sur les deux types vautrés dans la poussière alors que les deux chiens retournaient dans leur coin ». L’important pour ce proche de Sean Penn, journaliste occasionnel ayant réussi la prouesse d’arracher quelques mots à Charles Bronson, c’est le palpable, le tangible.
Lorsqu’Harry Crews enfant, feuilletait les catalogues de mode, il savait que « sous ces fringues chics, il y avait des cicatrices, des boursouflures et des furoncles d’un genre ou d’un autre ». Adulte, il s’intéresse naturellement à ce qu’on ne veut pas montrer, à ce qu’on s’ingénie à dissimuler : la mort, le chaos, l’infirmité, la maladie, la folie, le sang, les excréments, la déchéance… Pour comprendre l’ossature du roman, il faut chercher du côté de celle du bonhomme : « Cou cassé, joue gauche défoncée, clavicule cassée et les côtes de chaque côté… »
Du viscéral donc, rien que du vicéral. Un monde déglingué que Harry Crews hait et enfante aussi fièvreusement. Harry Crews n’écrit que sur ce qu’il connaît.
La Foire aux serpents
Harry Crews
traduit de l’américain
par Nicolas Richard
Série Noire N° 2359, Gallimard
206 pages, 37,50 FF
Domaine étranger La malédiction du serpent
décembre 1994 | Le Matricule des Anges n°10
| par
Erwan Le Bihan
Un livre
La malédiction du serpent
Par
Erwan Le Bihan
Le Matricule des Anges n°10
, décembre 1994.