C’est d’une voix doucement ironique face aux tentations formelles, souvent closes sur elles-mêmes, que Jean-Marie Barnaud, depuis la maison basse de Mougins, en vient à voir dans la parole de poésie la recherche d’une parole destinée aussi à ceux qui n’écrivent pas, selon un mot d’Yves Bonnefoy. Qu’est-ce à dire sinon que le poème trouve sa forme, s’écrit, devient audible et lisible, qu’en inscrivant son expérience dans celle de nos vies dans le temps : joie soudaine, fatigue devant la dureté des bassesses du monde. Son dernier recueil, Passage de la fuyante, s’ouvre ainsi par un conflit intérieur entre les coups de l’actualité tragique et le risque de voir la parole s’échouer dans l’obscénité macabre. Les « mots joufflus / (L)es mots tout roses du poème » y deviendraient ainsi « Bannières sèches et haillons / Laissés pour compte ».
D’autres mots deviennent alors nécessaires, comme ceux de cet homme assis sur une dune qui avance, traverse des lieux effondrés et cherche à dire ce qui relèverait la vie de son dégoût. Et s’il entend « tourner l’autre douleur de vivre / Celle qui ne chante pas », s’il voit encore « les longues femmes noires » allumer des feux « qui flambent clair / Comme leur faim », entend ce « sable qu’on déverse / En charretées sur les visages et sur les mains » des soldats irakiens et voit les femmes de Bosnie « qu’on déchire en quatre », tout cela dont le bon goût littéraire ne veut pas dans le poème, c’est que de l’histoire à l’Histoire un lieu où vivre est à rappeler ou à créer. L’écriture de Jean-Marie Barnaud y avance, tendue dans sa simplicité entre des mots roses et des mots tranchants, avec et contre la violence de l’Histoire. Dans les hauts rangs certains jugeront, sous l’affaire du culturel, de la nécessité de la poésie et, pour l’écarter, renverront sur elle une honte infecte : comment, oui, peut-elle parler, avec ses mots, du pire et des désastres ! Honteuse, elle le serait à ne pas simplement résister au mal de l’Histoire. Répondre encore à tout ce qui troue les visages, c’est pour Jean-Marie Barnaud faire du poème un lieu de « claire audace », s’élever là où tout s’effondre. Ce lieu est à faire et cette poésie le dit.
Passage de la fuyante
Jean-Marie Barnaud
Cheyne éditeur
64 pages, 75 FF
1 Jean-Marie Barnaud a également publié un roman -Le Censeur- en 1992 chez Gallimard.
Poésie De l’Histoire à l’issue
décembre 1994 | Le Matricule des Anges n°10
| par
Emmanuel Laugier
Un livre
De l’Histoire à l’issue
Par
Emmanuel Laugier
Le Matricule des Anges n°10
, décembre 1994.