Trillard dévide le fil de son troisième roman comme on viderait une bête de ses boyaux un à un : le mot économe, les dents serrées.
Eldorado 51, c’est la poisse d’une famille française venue autrefois au kilomètre 51 de la Transchaco paraguayenne élever la vache et cultiver, comme les autres colons alentour, des rêves de grands espaces. Face à l’échec, entre un mari muet entiché d’une guenon et un fils bestial traqueur de fauves et de femelles, Ida mène seule le combat du retour en France. C’est elle qui nous conte ce procès d’une déchéance vers l’organique et l’animalité crue, à laquelle elle non plus n’échappe pas. Pourtant, malgré les vengeances à coups de vomi d’Ida et ses égarements de vieille folle, le lecteur se raccroche à sa voix, forcé dans un malaise de reconnaître qu’elle est terriblement lucide, et que la folie même lui a préservé une ultime part d’humanité. Reste alors, tenace, magie d’un texte réussi, l’odeur de la charogne.
Phébus
201 pages, 98 FF
Domaine français Eldorado 51
décembre 1994 | Le Matricule des Anges n°10
| par
Karine Gantin
Un livre
Eldorado 51
Par
Karine Gantin
Le Matricule des Anges n°10
, décembre 1994.