Louis Chadourne sort à peine de l’adolescence lorsqu’il entame en 1907 la rédaction de son journal sur un carnet d’écolier. D’une plume déjà fluide et ciselée, il expose en préambule le besoin qu’il a de se comprendre, ses interrogations sur un avenir incertain et un passé trop frais. « Notre moi s’effrite chaque jour comme un vieux mur » constate-t-il en tentant de « cristalliser » cette part fugitive.
À dix-sept ans, Louis Chadourne n’a qu’une priorité, trouver l’amour total pour conjurer le dégoût d’une famille mal unie. De fait, avec « son allure de prince charmant » un peu comédien, il séduit. « à quinze ans j’ai connu la femme […] mais je n’ai pas aimé. » Ce n’est pas faute d’essayer : ses Carnets égrènent le long de belles pages amoureuses les prénoms de Jeanne ou de Lily jusqu’à l’apparition de la fascinante Felia.
Si l’homme est honnête et sans fausse pudeur, il est aussi oublieux. De son mariage avec Yvonne il ne livre rien que leur séparation, tout comme il néglige longtemps d’évoquer ses projets littéraires. À peine sait-on qu’il est l’ami de Gaston (Gallimard), Léon Werth, Mac Orlan et de Larbaud « le bon gros ». Il est pourtant l’auteur célébré d’Inquiète adolescence, du Maître du navire, du Pot au noir (cf. MdA 8) mais l’idée qu’il se fait de l’indépendance n’inclut pas les contraintes de la coterie littéraire.
Louis préfère décrire les paysages marins de Bretagne qui l’attirent. Aventurier immobile, il aime se sentir vivre et ne voudrait retenir que les délices des promenades à vélo ou les siestes au pied des arbres, un livre à la main.
En 1916, la guerre détruit tout. Il échappe de justesse à la mort dans l’éboulement d’une tranchée et ses nerfs en restent ébranlés. Une colère froide lui commande alors de se « mêler à la vie ». Le sédentaire se révolte, le sentimental devient badin. Durant cinq ans, il fréquente les milieux rastas et part en Amérique du Sud. Son journal se transforme : il y accumule les notes de lecture, prépare son roman Terre de Chanaan, fait des projets. Mais la maladie progresse dans une « macabre fantaisie » et son écriture se fait peu à peu chaotique. « Je forge trop de fantômes » explique-t-il après son internement à l’hôpital d’Ivry où il mourra en 1925, « c’est un vrai assassinat que de m’avoir laissé seul ».
Grâce à Christiane F. Kopylov, Louis Chadourne rentre d’un long exil. En publiant le Journal d’un homme tombé de la lune (1987) et ses Carnets inédits agrémentés d’une chronologie commentée, elle rend à cet écrivain plein de charme la place qui lui revient de droit dans l’histoire littéraire.
Carnets, 1907-1925
Louis Chadourne
Préface de Benjamin Crémieux
Editions des Cendres
318 pages, 180 FF
Histoire littéraire Un homme enseveli
décembre 1994 | Le Matricule des Anges n°10
| par
Éric Dussert
Un livre
Un homme enseveli
Par
Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°10
, décembre 1994.