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Zoom Louis-René des Forêts : "Face à l’immémorable

mars 1995 | Le Matricule des Anges n°11 | par Emmanuel Laugier

En cinquante ans, Louis-René des Forêts a écrit peu de livres, a abandonné la rédaction d’autres. Par son essai, l’écrivain Jean Roudaut approche fermement la portée de cette oeuvre, son exigence et ses doutes.

Louis-René des Forêts par Jean Roudaut

Depuis la publication des Mendiants, en 1943, combien de lecteurs s’efforcent de faire connaître tout l’enjeu de l’œuvre de Louis-René des Forêts ? Sans doute ne vaut-il mieux pas le savoir. Le nombre décevrait et c’est à la puissance du mercantilisme et aux luxuriantes impostures que tout cela reviendrait. Cette œuvre, oui, est encore méconnue, on l’évoque sans jamais s’y être voué, on la reconnaît de loin ou on l’ignore. Toutefois, certains, éditeurs et lecteurs fidèles, n’ont jamais hésité à défendre l’auteur du Bavard, à l’attendre durant plus de quinze ans lorsque l’écriture, ou ce qui la précède, fit défaut, à comprendre tout le poids de silence qu’un tel homme n’a jamais cessé de porter. Ainsi, la collection Les Contemporains du Seuil a fait confiance à Jean Roudaut qui livre par cet essai sur Louis-René des Forêts, et à la suite des pages de Maurice Blanchot, de Pascal Quignard, d’Yves Bonnefoy et de Dominique Rabaté, un travail magistral, dont le tour de force est de parvenir tout simplement à dire l’ampleur d’une telle œuvre, la tension des quelques livres uniques qui la font et la défont, depuis Les Mendiants jusqu’aux proses d’Ostinato parues en partie sous le titre de Face à l’immémorable (Fata Morgana, 1993). Il s’agit bien, en effet, pour Louis-René des Forêts, de saper, à chaque coup, dans chaque livre, les grandes illusions, la vanité, les clôtures, l’immobilisme et les prétentions creuses que l’écriture, paradoxalemment, crée.
Né à Paris en 1918, où il vit depuis 1953, après s’être retiré durant plusieurs années à la campagne, profondément marqué par l’internat dans un collège religieux ses lois, son autorité, son ordre collectif, etc, tour à tour étudiant en droit et en sciences politiques, lecteur de Shakespeare, Baudelaire, Rimbaud, Joyce, grand amateur de musique, Louis-René des Forêts a traversé ce siècle, passant de la mobilisation militaire sur la ligne Maginot à l’engagement dans la Résistance en 1941 : un temps d’abattement et de lutte, le temps de l’innocence et du chaos que Les Mendiants retiendront, celui de la disparition et de la déportation des amis, du frère aîné. L’écriture, le travail pour différentes maisons d’édition conseiller littéraire chez Robert Laffont en 1945 ; il s’occupera de l’Encyclopédie de la Pléiade chez Gallimard à partir de 1953, l’engagement politique co-fondateur du comité contre la guerre d’Algérie en 1954, la revue de littérature et de poésie L’Éphémère dont il aura été, avec Yves Bonnefoy, André du Bouchet, Paul Celan, Jacques Dupin, Michel Leiris et Gaëtan Picon, l’un des fondateurs, furent tous les lieux de son exigence.
L’écriture de Louis-René des Forêts fut et continue d’être le récit tendu, irreprésentable, innommable, du rapport que l’homme, éternellement, a avec le temps et le langage. Cependant, ce n’est pas à une description psychologique que prétendent les récits et les nouvelles, tels que Les Mendiants (1943), Le Bavard (1946) et La Chambre des enfants (1960). Le théâtre auquel se vouent les pages de ces livres révèle une volonté d’épuiser par la fiction les fictions que deviennent les œuvres, « d’épurer les particularités en vue de faire entendre l’organisation rythmique de notre vie, qui est sa réalité parce qu’elle serait en phase avec les grandes voix du monde », précise Jean Roudaut. Les lieux, par exemple, comme ce bar maritime dans lequel le Bavard, pris par « une envie brûlante de parler », ne se souciera pas « des propos effarants qu(’il) tenai(t) et dont (il) ne connaissai(t) guère que les reflets sur les visages de (s)es auditeurs tour à tour illuminés d’une curiosité, grimaçants de dégoût », n’apparaissent qu’à partir de quelques figures centrales, quelques regards, quelques propos. Le bar n’a, paradoxalemment, de plus grande vérité que dans la parole du Bavard : « Éprouvant subitement une répugnance insurmontable pour la vie en société avec son cortège d’intrigues, de méprisables agitations et de paroles creuses, toute cette chaleur d’étuve qui émanait d’une promiscuité que les sinistres obligations de la vie m’imposaient, je n’aspirais qu’à m’en dégager pour goûter aux bienfaits de l’air pur et du silence… ». Il est à lui seul, comme le dit Roudaut citant Beckett, le lieu de l’être « séparé ensemble » ; et celui-ci ne se révèle tel que dans le discours pitoyable et irresponsable du Bavard. Dans ce rassemblement, le Bavard ne va pas parler devant tout son auditoire afin d’exposer une quelconque pathologie, mais, provoquant même le lecteur, le crispant par son cynisme et son ironie, son agressivité, va mettre en route toute la machinerie infernale du mensonge, disant, dans chaque ligne, par sa crise, l’affolement vain de la langue, l’inepsie et les figures creuses qu’il cache, les leurres et les contrefaçons qu’il rend possible. Tels sont les renversements dont les livres de Louis-René des Forêt procèdent : y préside toujours, comme le montre Jean Roudaut sur toute l’étendue de l’œuvre, l’expérience du manque et de la déception, celle de l’exil, d’une remémoration « démentielle ». La leçon des récits et des poèmes de Louis-René des Forêts, comme Les Mégères de la mer (Mercure de France, 1965) et Poèmes de Samuel Wood (Fata Morgana, 1988), est, dans sa plus grande obstination, d’effacer une expérience première et immémorable du monde, comme celle de l’innocence de l’enfance, afin de « composer », dit Roudaut, « un lieu où quelque chose d’espéré et d’inattendu puisse se produire, où quelque chose « ait lieu », quelque chose qui, en advenant, abolirait le souvenir de l’instant premier ». Contre les leurres et les illusions qu’un homme construit pour oublier sa responsabilité, Louis-René des Forêts en appelle au déploiement d’une musique par où l’être, jeté dans le temps, déploiera lui-même l’acte et le lieu d’une parole en résonnance avec soi et le monde. Après les essais sur Michel Butor (1964) et Georges Perros (1991), ceux, critiques, réunis dans Ce qui nous revient (1980), ses réflexion sur les liens entre littérature et peinture (Une Ombre au tableau, 1988), Jean Roudaut signe là un ouvrage de référence sur le trajet de l’œuvre de Louis-René des Forêts, cette « écriture de notre temps » dit Yves Bonnefoy.

Louis-René des Forêts
par Jean Roudaut

Seuil, Les Contemporains
260 pages, 149 FF

Louis-René des Forêts : "Face à l’immémorable Par Emmanuel Laugier
Le Matricule des Anges n°11 , mars 1995.
LMDA papier n°11
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