Brecht et Cie

Auteur, dramaturge, metteur en scène, poète, essayiste… Difficile, en quelques substantifs, de faire le tour d’un homme dont la carrière s’inscrit déjà dans l’histoire du théâtre français. Pétri de littérature allemande et amateur de polars américains, Michel Deutsch poursuit -en plus de 20 ans et près de 30 textes- une exploration passionnelle et attentive de la langue. Des années TNS (Théâtre National de Strasbourg) aux côtés de Jean-Pierre Vincent, de l’aventure du Théâtre du Quotidien (mouvement des années 70) traversée avec Jean-Paul Wenzel, de sa longue complicité avec le philosophe Philippe Lacoue-Labarthe, l’écrivain conserve la même urgence critique. L’ironie au coin des lèvres, un rien universitaire, Michel Deutsch laisse volontiers la timidité pour la mauvaise humeur quand on évoque la récente polémique autour de Brecht, suscitée par le professeur de Lettres américain John Fuegi auteur d’une biographie très contestée, Brecht et Cie dont la traduction paraît chez Fayard.
L’une des thèses du biographe repose sur l’éternelle question des droits d’auteur. D’après son livre, l’œuvre de Brecht serait avant tout celle de ses maîtresses…
Que Brecht doive quelque chose à Elisabeth Hauptmann, Margarete Steffin et Ruth Berlau, tant mieux ! Le travail théâtral est un travail collectif. C’est vrai que l’écriture d’une pièce fait partie du chantier théâtral et c’est vrai que, à la différence du roman et de la poésie en Occident aujourd’hui, le théâtre n’est pas un travail solipsistique. La communauté d’êtres parlants est mise en jeu dans le travail théâtral, or cela passe aussi par l’écriture. Il n’en reste pas moins qu’il y a un style Brecht, il suffit de lire sa poésie. Marcuse comme Adorno ou Bloch qui n’aimaient pas le théâtre de Brecht le considéraient comme un immense poète. L’œuvre poétique de Brecht est absolument considérable dans la poésie allemande, plus précisément dans la dichtung, où toute la ressource éthymologique et synonymique de la langue est mise en jeu. Dans sa poésie, Brecht a récupéré un côté luthérien plein de paraboles et de proverbes de style biblique. Or son théâtre procède de la même eau, du point de vue de l’écriture, et je suis étonné que personne ne l’ait remarqué et surtout pas cet espèce de procureur général américain.
Il semblerait que Fuegi se complaise dans la détestation…
Faire une biographie aux Etats-Unis revient, la plupart du temps, à démolir le type sur lequel on écrit, naturellement tout le profit est pour le biographe.
Cette compulsion à vouloir déconstruire une chose jusqu’à la détruire me sidère. Il est vrai que la société démocratique n’a pas besoin de héros, néanmoins elle a besoin d’exemples. Et l’exemple pris dans la littérature me semble le moins dangereux dans la mesure où la littérature c’est toujours la liberté. Sans liberté, il n’ y a pas de littérature. Donc, démolir un écrivain signifie d’une certaine manière s’en prendre à la liberté qui existe dans...