Eric Holder ne possède pas à proprement parler une bibliothèque. Les livres courent le long des murs de « la maison bleue », s’appuyant, à l’étage sur les poutrelles, retenus ici ou là par de brinquebalantes planches assemblées que la politesse nous force à appeler bibliothèque. Depuis la salle de séjour, on peut apercevoir au-dessus de l’escalier trois ou quatre rangs de livres de poche, coincées entre le plancher et l’échantignole de la charpente. La seule partie vraiment rangée, au rez-de-chaussée offre trois étagères de livres de poésie, « ça c’est la bibliothèque intime ». On y reconnaît immédiatement, classés par collections, les recueils d’Orphée-La Différence et de Poésie-Gallimard. Y trônent Omar Khayyam, Jacques Réda ou encore La Poésie française de Max Pol Fouchet qu’Eric Holder lisait déjà dans son adolescence. « Beaucoup de livres aimés ne sont pas là ; ils ont été donnés. J’en ai vendus aussi chez Gibert dans les périodes difficiles. » L’exemplaire des Fleurs du mal avec lequel le jeune Eric Holder avait fugué est là, et sous la couverture, une écriture immature égrène chaque jour de liberté à l’encre bleue d’un stylo-bille : « jeudi 18 : St Raphaël - Aix ». Ici, un autre livre fétiche : Le Tout sur le tout d’Henri Calet. Incongrus parmi tous ces livres, l’emballage d’une bouteille de whisky 12 ans d’âge et un service à petit-déjeuner similaire à celui qui marque la couverture de L’Homme de chevet. L’étage est le règne du livre de poche « j’aime beaucoup les vieux livres de poche. Les Malet notamment ; c’est la seule bibliophilie que je m’autorise ». On croise là Vialatte, la revue du Subjectif, Le Serpent à plumes qui a publié Holder, beaucoup d’autres revues, une photo de Charles-Albert Cingria, Le Journal de Léautaud (« Ça fait partie des textes fondamentaux »), Francis Carco. Dans un coin quelques livres de La Pléiade, des embryons de rangement avec les romans des éditions de Minuit, les Kundera.
Pour aller ensuite au bureau de l’écrivain, il faut sortir, rentrer les épaules sous le ciel lourd, longer la maison et entrer dans ce qui devait être l’écurie. Une échelle nous permet d’accéder par une trappe étroite à une petite pièce comme dégagée du monde. Un vieil ordinateur, si vieux qu’on s’inquiète de savoir s’il fonctionne à l’électricité ou au charbon, impose sa masse sur une table de bois. Quelques livres : Pascal, le cardinal de Retz, de la poésie. Peu d’ouvrages toutefois : le pièce est une terre d’accueil, le lieu de l’exil, on y est hors du monde et peut-être même hors de soi.
Dossier
Éric Holder
La poésie comme un phare
juin 1995 | Le Matricule des Anges n°12