Si l’on devait attribuer la palme du plus beau livre de littérature de l’année, on voit mal comment la récompense pourrait échapper à cet Eloge de l’arbre que nous proposent François Solesmes, l’auteur, et Jacques Neyme, son éditeur. Son grand format (230x320 mm), le papier d’une belle qualité, la typo constituée d’un « Garamond expert collection » aux élans précieux, l’encre, enfin, dont on sait qu’elle est le fruit d’un mélange visant à obtenir le bleu marine qui donne son nom à la maison d’édition ; tout cela confie au lecteur un plaisir et une importance que les ouvrages manufacturés ignorent.
Si les livres peuvent se regarder et se montrer, se humer et se feuilleter, gageons qu’il reste encore quelques personnes pour vouloir les lire. François Solesmes ne décevra pas ces dernières. Après ses éloges de la femme (Les Hanches étroites, Gallimard ; L’Amante, Albin Michel ; Poétique de la femme, Phébus ; etc.) et ceux de la mer (Célébration de la mer, Robert Morel ; D’un Rivage, Encre marine), le voici qui s’attache à chanter l’arbre. Une façon, peut-être, de poursuivre la quête de l’infini. L’arbre « s’édifie de cette éternité qui, dans la nuit des grottes pépiantes, exhausse un bosquet de calcite. » Avec une énergie que chaque ligne renouvelle, François Solesme pousse son écriture à pénétrer au cœur de la sève, prêtant aux arbres des pensées que les humains n’ont plus, ouvrant sous les branches des univers où la tension règne et d’où s’échappent parfois des accents de tragédies grecques : « Saisi par la discorde et la dénégation, un arbre qu’on poursuit, rejoint, dépasse, jette en tous sens des regards révulsés. (Quelle hydre s’y cachait, qui entreprend l’espace et le déchire et le disperse à gestes convulsifs ? - et le croc est partout, qui exacerbe la famine béante.) » L’écriture, ici, est un corps à corps acharné mais sans violence, une hystérie amoureuse qui prend son temps, des fiançailles mystiques. On a du mal à suivre l’auteur dans ses envols ; cela nécessite une ascèse que l’on n’a pas, un abandon total aux mots et au rythme, une aliénation à l’obsessionnel. On préfèrera garder quelque distance avec le livre, cultiver le seul plaisir d’une lecture où chaque phrase impressionne.
L’auteur, par la précision lexicale de son écriture renvoie le lecteur à la fréquentation assidue des dictionnaires. On pourrait lui en vouloir, mais, d’une part, lire François Solesmes c’est apprendre la patience et, d’autre part, ces incessants va-et-vient entre le dictionnaire et le livre tissent tout un réseau de lianes au cœur même de la langue. Car si François Solesmes chante tour à tour la femme, la mer ou l’arbre, c’est toujours l’éloge de la langue qu’il fait : « qu’on l’abuse d’un envol sans fin remis ; qu’on le soumette à la question afin que naisse, de lui aussi, / incoercible et seule valide, une parole qui nous opprime et nous confonde avec bonheur ; une parole qu’on dirait échappée à un sac du langage ». Une langue qui, ici, atteint au non-figuratif, s’échappe en tout cas de la pauvre gangue qui ne faisait d’elle qu’un moyen de communication. Il y a là du Cézanne peignant la montagne Sainte-Victoire.
Eloge de l’arbre
François Solesmes
Encre marine
(Fougères 42 220 La Versanne)
190 pages, 250 FF
Domaine français La parole arborescente
En cherchant à dire l’éternité à travers la femme, la mer ou l’arbre, François Solesmes a fini par forger une langue créatrice d’un monde où le temps suspend son vol. Eloge de l’arbre consacre une écriture sans bornes.